Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 6.djvu/143

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Les classes supérieures s’alarment, et ce n’est pas sans raison, de cette triste disposition des masses. Elles y voient le germe de révolutions incessantes ; car quel gouvernement peut tenir quand il a eu le malheur de dire : « J’ai la force, et je l’emploierai à faire vivre tout le monde aux dépens de tout le monde. J’assume sur moi la responsabilité du bonheur universel ! » — Mais l’effroi dont ces classes sont saisies n’est-il pas un châtiment mérité ? N’ont-elles pas elles-mêmes donné au peuple le funeste exemple de la disposition dont elles se plaignent ? N’ont-elles pas toujours tourné leurs regards vers les faveurs de l’État ? Ont-elles jamais manqué d’assurer quelque privilége grand ou petit aux fabriques, aux banques, aux mines, à la propriété foncière, aux arts, et jusqu’à leurs moyens de délassement et de diversion, à la danse, à la musique, à tout enfin, excepté au travail du peuple, au travail manuel ? N’ont-elles pas poussé à la multiplication des fonctions publiques pour accroître, aux dépens des masses, leurs moyens d’existence, et y a-t-il aujourd’hui un père de famille qui ne songe à assurer une place à son fils ? Ont-elles jamais fait volontairement disparaître une seule des inégalités reconnues de l’impôt ? N’ont-elles pas longtemps exploité jusqu’au privilége électoral ? — Et maintenant elles s’étonnent, elles s’affligent de ce que le peuple s’abandonne à la même pente ! Mais, quand l’esprit de mendicité a si longtemps prévalu dans les classes riches, comment veut-on qu’il n’ait pas pénétré au sein des classes souffrantes ?

Cependant une grande révolution s’est accomplie. La puissance politique, la faculté de faire des lois, la disposition de la force, ont passé virtuellement, sinon de fait encore, aux mains du Peuple, avec le suffrage universel. Ainsi ce peuple qui pose le problème sera appelé à le résoudre ; et malheur au pays si, suivant l’exemple qui lui a été donné, il cherche la solution dans le Privilége, qui est