Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 6.djvu/273

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sent ; en d’autres termes, les intérêts sont harmoniques, pourvu que chacun reste dans son droit, pourvu que les services s’échangent librement, volontairement, contre les services. Mais est-ce à dire que nous ignorons la lutte perpétuelle du Tort contre le Droit ? Est-ce à dire que nous perdons de vue ou que nous approuvons les efforts qui se sont faits en tous temps et qui se font encore pour altérer, par la force ou la ruse, la naturelle équivalence des services ? C’est là justement ce que nous repoussons sous le nom de violation des lois sociales providentielles, sous le nom d’attentats à la propriété ; car, pour nous, libre échange de services, justice, propriété, liberté, sécurité, c’est toujours la même idée sous divers aspects. Ce n’est pas le principe de la propriété qu’il faut combattre, mais, au contraire, le principe antagonique, celui de la spoliation. Propriétaires à tous les degrés, réformateurs de toutes les écoles, c’est là la mission qui doit nous concilier et nous unir.

Et il est temps, il est grand temps que cette croisade commence. La guerre théorique à la Propriété n’est ni la plus acharnée ni la plus dangereuse. Il y a contre elle, depuis le commencement du monde, une conspiration pratique qui n’est pas près de cesser. Guerre, esclavage, imposture, taxes abusives, monopoles, priviléges, fraudes commerciales, colonies, droit au travail, droit au crédit, droit à l’assistance, droit à l’instruction, impôts progressifs en raison directe ou en raison inverse des facultés, autant de béliers qui frappent à coups redoublés la colonne chancelante ; et pourrait-on bien me dire s’il y a beaucoup d’hommes en France, même parmi ceux qui se croient conservateurs, qui ne mettent la main, sous une forme ou sous une autre, à l’œuvre de destruction ?

Il y a des gens aux yeux de qui la Propriété n’apparaît jamais que sous l’apparence d’un champ ou d’un sac d’écus. Pourvu qu’on ne déplace pas les bornes sacrées et qu’on ne