Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 6.djvu/286

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à se faire céder deux ou trois cents journées, à se faire rétribuer pour l’intervention des forces gratuites, pour le progrès accompli, il est parfaitement exact de dire que ce progrès a été accompli au profit de l’acquéreur, du consommateur, de la satisfaction universelle, de l’humanité.

Transport. Antérieurement à tout progrès, quand le genre humain en était réduit, comme le journalier que nous avons mis en scène, à du travail brut et primitif, si un homme avait voulu qu’un fardeau d’un quintal fût transporté de Paris à Bayonne, il n’aurait eu que cette alternative : ou mettre le fardeau sur ses épaules et accomplir l’œuvre lui-même, voyageant par monts et par vaux, ce qui eût exigé au moins un an de fatigues ; ou bien prier quelqu’un de faire pour lui cette rude besogne ; et comme, d’après l’hypothèse, le nouveau porte-balle aurait employé les mêmes moyens et le même temps, il aurait réclamé en paiement un an de travail. À cette époque donc, la valeur du travail brut étant un, celle du transport était de 300 pour un poids d’un quintal et une distance de 200 lieues.

Les choses ont bien changé. En fait, il n’y a aucun manœuvre à Paris qui ne puisse atteindre le même résultat par le sacrifice de deux journées. L’alternative est bien la même. Il faut encore exécuter le transport soi-même ou le faire faire par d’autres en les rémunérant. Si notre journalier l’exécute lui-même, il lui faudra encore un an de fatigues ; mais, s’il s’adresse à des hommes du métier, il trouvera vingt entrepreneurs qui s’en chargeront pour 3 ou 4 francs, c’est-à-dire pour l’équivalent de deux journées de travail brut. Ainsi, la valeur du travail brut étant un, celle du transport, qui était de 300, n’est plus que de deux.

Comment s’est accomplie cette étonnante révolution ? Oh ! elle a exigé bien des siècles. On a dompté certains animaux, on a percé des montagnes, on a comblé des vallées, on a jeté des ponts sur les fleuves ; on a inventé le