Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 6.djvu/291

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la Propriété absolue tende à disparaître de ce monde. C’est un pionnier qui accomplit son œuvre dans un cercle et passe dans un autre. Pour qu’elle s’évanouît, il faudrait que tout obstacle fît défaut au travail ; que tout effort humain devînt inutile ; que les hommes n’eussent plus occasion d’échanger, de se rendre des services ; que toute production fùt spontanée, que la satisfaction suivît immédiatement le désir ; il faudrait que nous fussions tous égaux aux dieux. Alors, il est vrai, tout serait gratuit, tout serait commun : effort, service, valeur, propriété, rien de ce qui constate notre native infirmité n’aurait sa raison d’être.

Mais l’homme a beau s’élever, il est toujours aussi loin de l’omnipotence. Que sont les degrés qu’il parcourt sur l’échelle de l’infini ? Ce qui caractérise la Divinité, autant qu’il nous est donné de le comprendre, c’est qu’entre sa volonté et l’accomplissement de sa volonté, il n’y a pas d’obstacles : Fiat lux, et lux facta est. Encore est-ce son impuissance à exprimer ce qui est étranger à l’humaine nature qui a réduit Moïse à supposer, entre la volonté divine et la lumière, l’obstacle d’un mot à prononcer. Mais, quels que soient les progrès que réserve à l’humanité sa nature perfectible, on peut affirmer qu’ils n’iront jamais jusqu’à faire disparaître tout obstacle sur la route du bien-être infini, et à frapper ainsi d’inutilité le travail de ses muscles et de son intelligence. La raison en est simple : c’est qu’à mesure que certains obstacles sont vaincus, les désirs se dilatent, rencontrent de nouveaux obstacles qui s’offrent à de nouveaux efforts. Nous aurons donc toujours du travail à accomplir, à échanger, à évaluer. La propriété existera donc jusqu’à la consommation des temps, toujours croissante quant à la masse, à mesure que les hommes deviennent plus actifs et plus nombreux, encore que chaque effort, chaque service, chaque valeur, chaque propriété relative passant de main