Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 6.djvu/327

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pluie accomplissent leurs miracles et qui néanmoins n’ont aucune valeur dans le sens économique et pratique du mot.

Comme il était quelque peu philosophe, il se disait : « Il faut pourtant, quoi qu’en disent Smith et Ricardo, que la valeur soit autre chose que la puissance productive naturelle et indestructible du sol. »

Enfin, il arriva dans l’État d’Arkansas, et il se trouva en face d’une belle terre d’environ cent acres que le gouvernement avait fait piqueter pour la vendre au prix d’un dollar l’acre.

— Un dollar l’acre ! se dit-il, c’est bien peu, si peu qu’en vérité cela se rapproche de rien. J’achèterai cette terre, je la défricherai, je vendrai mes moissons, et, de porteur d’eau que j’étais, je deviendrai, moi aussi, propriétaire !

Frère Jonathan, logicien impitoyable, aimait à se rendre raison de tout. Il se disait : Mais pourquoi cette terre vaut-elle même un dollar l’acre ? Nul n’y a encore mis la main. Elle est vierge de tout travail. Smith et Ricardo, après eux la série des théoriciens jusqu’à Proudhon, auraient-ils raison ? La terre aurait-elle une valeur indépendante de tout travail, de tout service, de toute intervention humaine ? Faudrait-il admettre que les puissances productives et indestructibles du sol valent ? En ce cas, pourquoi ne valent-elles pas dans les pays que j’ai traversés ? Et, en outre, puisqu’elles dépassent, dans une proportion si énorme, le talent de l’homme, qui n’ira jamais jusqu’à créer le phénomène de la germination, suivant la judicieuse remarque de M. Blanqui, pourquoi ces puissances merveilleuses ne valent-elles qu’un dollar ?

Mais il ne tarda pas à comprendre que cette valeur, comme toutes les autres, est de création humaine et sociale. Le gouvernement américain demandait un dollar pour la cession de chaque acre, mais d’un autre côté il