Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 6.djvu/334

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riciens. On ne m’accorde rien, absolument rien pour cette puissance productive et indestructible du sol, pour ces agents naturels, rayons solaires et lunaires, pluie, vent, rosée, gelée, que je croyais ma propriété, et dont je ne suis au fond qu’un propriétaire nominal. N’est-ce pas une chose inique que je ne sois rétribué que pour mes services, et encore au taux où il plaît à la concurrence de les réduire ? Vous subissez tous la même oppression, vous êtes tous victimes de la concurrence anarchique. Il n’en serait pas ainsi, vous le comprenez aisément, si nous organisions la propriété foncière, si nous nous concertions pour que nul désormais ne fût admis à défricher un pouce de cette terre d’Amérique. Alors la population, par son accroissement, se pressant sur une quantité à peu près fixe de subsistances, nous ferions la loi des prix, nous arriverions à d’immenses richesses : ce qui serait un grand bonheur pour les autres classes, car, étant riches, nous les ferions travailler.

Si, à la suite de ce discours, les propriétaires coalisés s’emparaient de la législature, s’ils décrétaient un acte par lequel tout nouveau défrichement serait interdit, il n’est pas douteux qu’ils accroîtraient, pour un temps, leurs profits. Je dis pour un temps : car les lois sociales manqueraient d’harmonie, si le châtiment d’un tel crime ne naissait naturellement du crime même. Par respect pour la rigueur scientifique, je ne dirai pas que la loi nouvelle aurait communiqué de la valeur à la puissance du sol ou aux agents naturels (s’il en était ainsi, la loi ne ferait tort à personne), mais je dirai : L’équilibre des services est violemment rompu ; une classe spolie les autres classes ; un principe d’esclavage s’est introduit dans le pays.

Passons à une autre hypothèse, qui, à vrai dire, est la réalité pour les nations civilisées de l’Europe, celle où tout le sol est passé dans le domaine de la propriété privée.

Nous avons à rechercher si, dans ce cas encore, la masse