Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 6.djvu/406

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inviolable. Mais si tu succombes dans ce dernier asile, que devient l’espoir des siècles et la valeur de la nature humaine ?

Cependant, à la longue (ainsi le veut la nature progressive de l’homme), la Spoliation développe, dans le milieu même où elle s’exerce, des résistances qui paralysent sa force et des lumières qui dévoilent ses impostures. Elle ne se rend pas pour cela : elle se fait seulement plus rusée, et, s’enveloppant dans des formes de gouvernement, des pondérations, des équilibres, elle enfante la Politique, mine longtemps féconde. On la voit alors usurper la liberté des citoyens pour mieux exploiter leurs richesses, et tarir leurs richesses pour mieux venir à bout de leur liberté. L’activité privée passe dans le domaine de l’activité publique. Tout se fait par des fonctionnaires ; une bureaucratie inintelligente et tracassière couvre le pays. Le trésor public devient un vaste réservoir où les travailleurs versent leurs économies, qui, de là, vont se distribuer entre les hommes à places. Le libre débat n’est plus la règle des transactions, et rien ne peut réaliser ni constater la mutualité des services.

Dans cet état de choses, la vraie notion de la Propriété s’éteint, chacun fait appel à la Loi pour qu’elle donne à ses services une valeur factice.

On entre ainsi dans l’ère des priviléges. La Spoliation, toujours plus subtile, se cantonne dans les Monopoles et se cache derrière les Restrictions ; elle déplace le courant naturel des échanges, elle pousse dans des directions artificielles le capital, avec le capital le travail, et avec le travail la population elle-même. Elle fait produire péniblement au Nord ce qui se ferait avec facilité au Midi ; elle crée des industries et des existences précaires ; elle substitue aux forces gratuites de la nature les fatigues onéreuses du travail ; elle fomente des établissements qui ne peuvent soutenir aucune rivalité, et invoque contre leurs compétiteurs l’emploi de la force ; elle provoque les jalousies internationales, flatte les