Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 6.djvu/484

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas que le travail antérieur n’ait pas plus de sécurité que le travail actuel, parce qu’il ne se peut pas que des produits créés n’offrent pas des ressources plus certaines que des produits à créer ; que des services déjà rendus, reçus et évalués ne présentent une base plus solide que des services encore à l’état d’offre. Si vous n’êtes pas surpris que, de deux pêcheurs, celui-là soit plus tranquille sur son avenir, qui, ayant travaillé et épargné depuis longtemps, possède lignes, filets, bateaux et approvisionnement de poisson, tandis que l’autre n’a absolument rien que la bonne volonté de pêcher, pourquoi vous étonnez-vous que l’ordre social manifeste, à un degré quelconque, les mêmes différences  ? Pour que l’envie, la jalousie, le simple dépit de l’ouvrier à l’égard du capitaliste fussent justifiables, il faudrait que la stabilité relative de l’un fut une des causes de l’instabilité de l’autre. Mais c’est le contraire qui est vrai, et c’est justement ce capital existant entre les mains d’un homme qui réalise pour un autre la garantie du salaire, quelque insuffisante qu’elle vous paraisse. Certes, sans le capital, l’aléatoire serait bien autrement imminent et rigoureux. Serait-ce un avantage pour les ouvriers que sa rigueur s’accrût, si elle devenait commune à tous, égale pour tous  ?

Deux hommes couraient des risques égaux, pour chacun, à 40. L’un fit si bien par son travail et sa prévoyance, qu’il réduisit à 10 les risques qui le regardaient. Ceux de son compagnon se trouvèrent, du même coup, et par suite d’une mystérieuse solidarité, réduits non pas à 10, mais à 20. Quoi de plus juste que l’un, celui qui avait le mérite, recueillît une plus grande part de la récompense  ? quoi de plus admirable que l’autre profitât des vertus de son frère  ? Eh bien  ! voilà ce que repousse la philanthropie sous prétexte qu’un tel ordre blesse l’égalité.

Le vieux pêcheur dit un jour à son camarade :