Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 6.djvu/526

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donc la raison, la prévoyance sont assoupies en lui, il se fait végétal, il se fait brute ; alors il est fatal qu’il multiplie, en vertu de la grande loi physiologique qui domine toutes les espèces ; et il est fatal aussi qu’il soit détruit, en vertu de la loi limitative à l’action de laquelle il demeure, en ce cas, étranger.

Mais, s’il est prévoyant, cette seconde loi entre dans la sphère de sa volonté ; il la modifie, il la dirige ; elle n’est vraiment plus la même : ce n’est plus une force aveugle, c’est une force intelligente ; ce n’est plus seulement une loi naturelle, c’est de plus une loi sociale. — L’homme est le point où se rencontrent, se combinent et se confondent ces deux principes, la matière et l’intelligence ; il n’appartient exclusivement ni à l’un ni à l’autre. Donc la loi de limitation se manifeste, pour l’espèce humaine, sous deux influences, et maintient la population à un niveau nécessaire, par la double action de la prévoyance et de la destruction.

Ces deux actions n’ont pas une intensité uniforme ; au contraire, l’une s’étend à mesure que l’autre se restreint. Il y a un résultat qui doit être atteint, la limitation : il l’est plus ou moins par répression ou par prévention, selon que l’homme s’abrutit ou se spiritualise, selon qu’il est plus matière ou plus intelligence, selon qu’il participe davantage de la vie végétative ou de la vie morale ; la loi est plus ou moins hors de lui ou en lui, mais il faut toujours qu’elle soit quelque part.

On ne se fait pas une idée exacte du vaste domaine de la prévoyance, que le traducteur de Malthus a beaucoup circonscrit en mettant en circulation cette vague et insuffisante expression, contrainte morale, dont il a encore amoindri la portée par la définition qu’il en donne : « C’est la vertu, dit-il, qui consiste à ne point se marier quand on n’a pas de quoi faire subsister une famille, et toutefois à vivre dans la chasteté. » Les obstacles que l’intelligente société hu-