Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 6.djvu/561

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avons vu qu’il consistait à faire glisser le bien sur le producteur, à faire tourner le progrès au profit de la communauté, à élargir sans cesse le domaine de la gratuité et, par suite, de l’égalité.

Mais quand les services privés deviennent publics, ils échappent à la concurrence, et cette belle harmonie est suspendue. En effet, le fonctionnaire est dénué de ce stimulant qui pousse au progrès, et comment le progrès tournerait-il à l’avantage commun quand il n’existe même pas ? Le fonctionnaire n’agit pas sous l’aiguillon de l’intérêt, mais sous l’influence de la loi. La loi lui dit : « Vous rendrez au public tel service déterminé, et vous recevrez de lui tel autre service déterminé. » Un peu plus, un peu moins de zèle ne change rien à ces deux termes fixes. Au contraire, l’intérêt privé souffle à l’oreille du travailleur libre ces paroles : « Plus tu feras pour les autres, plus les autres feront pour toi. » Ici la récompense dépend entièrement de l’effort plus ou moins intense, plus ou moins éclairé. Sans doute l’esprit de corps, le désir de l’avancement, l’attachement au devoir, peuvent être pour le fonctionnaire d’actifs stimulants. Mais jamais ils ne peuvent remplacer l’irrésistible incitation de l’intérêt personnel. L’expérience confirme à cet égard le raisonnement. Tout ce qui est tombé dans le domaine du fonctionnarisme est à peu près stationnaire ; il est douteux qu’on enseigne mieux aujourd’hui que du temps de François Ier ; et je ne pense pas que personne s’avise de comparer l’activité des bureaux ministériels à celle d’une manufacture.

À mesure donc que des services privés entrent dans la classe des services publics, ils sont frappés, au moins dans une certaine mesure, d’immobilisme et de stérilité, non au préjudice de ceux qui les rendent (leurs appointements ne varient pas), mais au détriment de la communauté tout entière.