Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 6.djvu/636

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fort populaires. Plus tard on verra l’ennemi, vainqueur à son tour, brûler les moissons et les récoltes, imposer des contributions et des lois. — On verra, dans les alternatives de succès et de revers, périr les générations, s’éteindre l’agriculture, s’appauvrir les deux peuples. — On verra la portion la plus vitale de la nation mépriser les arts de la paix, tourner les armes contre les institutions du pays, servir de moyen au despotisme, user son énergie inquiète dans les séditions et les discordes civiles, faire la barbarie et la solitude chez elle après les avoir faites chez ses voisins. On dira : La guerre c’est le brigandage agrandi… — Non, on verra ses effets sans en vouloir comprendre la cause ; et comme ce peuple en décadence aura été envahi à son tour par quelque essaim de conquérants, bien des siècles après la catastrophe, des historiens graves écriront : Ce peuple est tombé parce qu’il s’est énervé dans la paix, parce qu’il a oublié la science guerrière et les vertus farouches de ses ancêtres.

Je pourrais montrer les mêmes illusions sur le régime de l’esclavage…

Cela est vrai encore des erreurs religieuses…

De nos jours le régime prohibitif donne lieu à la même surprise…

Ramener, par la diffusion des lumières, par la discussion approfondie des effets et des causes, l’opinion publique dans cette direction intelligente qui flétrit les mauvaises tendances et s’oppose aux mesures funestes, c’est rendre à son pays un immense service. Quand la raison publique égarée honore ce qui est méprisable, méprise ce qui est honorable, punit la vertu et récompense le vice, encourage ce qui nuit et décourage ce qui est utile, applaudit au mensonge et étouffe le vrai sous l’indifférence ou l’insulte, une nation tourne le dos au progrès, et n’y peut être ramenée que par les terribles leçons des catastrophes.