Page:Œuvres complètes de Guy de Maupassant, XVI.djvu/287

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Je fus longtemps à me remettre, bien longtemps. Et je fis le reste du chemin avec une telle angoisse dans l’âme que le moindre bruit me coupait l’haleine.

Est-ce bête, dites ? Mais quelle peur ! En y réfléchissant, plus tard j’ai compris ; un enfant, nu-pieds, la menait sans doute cette brouette, et moi, j’ai cherché la tête d’un homme à la hauteur ordinaire !

Comprenez-vous cela… quand on a déjà dans l’esprit un frisson de surnaturel… une brouette qui court… toute seule… Quelle peur !

Il se tut une seconde, puis reprit :

— Tenez, Monsieur, nous assistons à un spectacle curieux et terrible : cette invasion du choléra !

Vous sentez le phénol dont ces wagons sont empoisonnés, c’est qu’il est là quelque part.

Il faut voir Toulon en ce moment. Allez, on sent bien qu’il est là, Lui. Et ce n’est pas la peur d’une maladie qui affole ces gens. Le choléra c’est autre chose, c’est l’Invisible, c’est un fléau d’autrefois, des temps passés, une sorte d’Esprit malfaisant qui revient et qui nous étonne autant qu’il nous épouvante,