Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, I.djvu/225

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imposèrent à toute la foule, elle donna le bras à Luigi, et marcha d’un pas ferme suivie de ses témoins. Un murmure d’étonnement qui alla croissant, un chuchotement général vint rappeler à Ginevra que le monde lui demandait compte de l’absence de ses parents : la malédiction paternelle semblait la poursuivre.

— Attendez les familles, dit le maire à l’employé qui lisait promptement les actes.

— Le père et la mère protestent, répondit flegmatiquement le secrétaire.

— Des deux côtés ? reprit le maire.

— L’époux est orphelin.

— Où sont les témoins ?

— Les voici, répondit encore le secrétaire en montrant les quatre hommes immobiles et muets qui, les bras croisés, ressemblaient à des statues.

— Mais, s’il y a protestation ? dit le maire.

— Les actes respectueux ont été légalement faits, répliqua l’employé en se levant pour transmettre au fonctionnaire les pièces annexées à l’acte de mariage.

Ce débat bureaucratique eut quelque chose de flétrissant et contenait en peu de mots toute une histoire. La haine des Porta et des Piombo, de terribles passions furent inscrites sur une page de l’État Civil, comme sur la pierre d’un tombeau sont gravées en quelques lignes les annales d’un peuple, et souvent même en un mot : Robespierre ou Napoléon. Ginevra tremblait. Semblable à la colombe qui, traversant les mers, n’avait que l’arche pour poser ses pieds, elle ne pouvait réfugier son regard que dans les yeux de Luigi, car tout était triste et froid autour d’elle. Le maire avait un air improbateur et sévère, et son commis regardait les deux époux avec une curiosité malveillante. Rien n’eut jamais moins l’air d’une fête. Comme toutes les choses de la vie humaine quand elles sont dépouillées de leurs accessoires, ce fut un fait simple en lui-même, immense par la pensée. Après quelques interrogations auxquelles les époux répondirent, après quelques paroles marmottées par le maire, et après l’apposition de leurs signatures sur le registre, Luigi et Ginevra furent unis. Les deux jeunes Corses, dont l’alliance offrait toute la poésie consacrée par le génie dans celle de Roméo et Juliette, traversèrent deux haies de parents joyeux auxquels ils n’appartenaient pas, et qui s’impatientaient presque du retard