Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, I.djvu/253

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le plus tendre. Il faut avoir bien confiance en ton cœur, encore enfant, pour te faire un aveu qui me coûte horriblement. Comment, pauvre ange, ton père a dérobé sa fortune, tu le sais, et tu la gardes ! Et tu m’as conté ce haut fait de procureur dans une chambre pleine des muets témoins de notre amour, et tu es gentilhomme, et tu te crois noble, et tu me possèdes, et tu as vingt-deux ans ! Combien de monstruosités ! Je t’ai cherché des excuses. J’ai attribué ton insouciance à ta jeunesse étourdie. Je sais qu’il y a beaucoup de l’enfant en toi. Peut-être n’as-tu pas encore pensé bien sérieusement à ce qui est fortune et probité. Oh ! combien ton rire m’a fait de mal ! Songe donc qu’il existe une famille ruinée, toujours en larmes, des jeunes personnes qui peut-être te maudissent tous les jours, un vieillard qui chaque soir se dit : Je ne serais pas sans pain si le père de monsieur de Camps n’avait pas été un malhonnête homme ! »

— Comment, s’écria monsieur de Bourbonne en interrompant, tu as eu la niaiserie de raconter à cette femme l’affaire de ton père avec les Bourgneuf ?… Les femmes s’entendent bien plus à manger une fortune qu’à la faire…

— Elles s’entendent en probité. Laissez-moi continuer, mon oncle.

« Octave, aucune puissance au monde n’a l’autorité de changer le langage de l’honneur. Retire-toi dans ta conscience, et demande-lui par quel mot nommer l’action à laquelle tu dois ton or. »

Et le neveu regarda l’oncle qui baissa la tête.

« Je ne te dirai pas toutes les pensées qui m’assiégent, elles peuvent se réduire toutes à une seule, et la voici : je ne puis pas estimer un homme qui se salit sciemment pour une somme d’argent quelle qu’elle soit. Cent sous volés au jeu, ou six fois cent mille francs dus à une tromperie légale, déshonorent également un homme. Je veux tout te dire : je me regarde comme entachée par un amour qui naguère faisait tout mon bonheur. Il s’élève au fond de mon âme une voix que ma tendresse ne peut pas étouffer. Ah ! J’ai pleuré d’avoir plus de conscience que d’amour. Tu pourrais commettre un crime, je te cacherais à la justice humaine dans mon sein, si je le pouvais ; mais mon dévouement n’irait que jusque-là. L’amour, mon ange, est, chez une femme, la confiance la plus illimitée, unie à je ne sais quel besoin de vénérer, d’adorer l’être auquel elle appartient. Je n’ai jamais conçu l’amour que