Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, I.djvu/336

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pertinent silence par lequel il répondit plus tard à la plus séduisante des interrogations qu’une femme puisse adresser à un homme : m’aimez-vous ce soir ? Plus il était rêveur, plus la comtesse se montrait pressante et taquine. Pendant que Martial dansait, le colonel alla de groupe en groupe y quêtant des renseignements sur la jeune inconnue. Après avoir épuisé la complaisance de toutes les personnes, et même celle des indifférents, il se déterminait à profiter d’un moment où la comtesse de Gondreville paraissait libre pour lui demander à elle-même le nom de cette dame mystérieuse, quand il aperçut un léger vide entre la colonne brisée qui supportait le candélabre et les deux divans qui venaient y aboutir. Le colonel profita du moment où la danse laissait vacante une grande partie des chaises qui formaient plusieurs rangs de fortifications défendues par des mères ou par des femmes d’un certain âge, et entreprit de traverser cette palissade couverte de châles et de mouchoirs. Il se mit à complimenter les douairières ; puis, de femme en femme, de politesse en politesse, il finit par atteindre auprès de l’inconnue la place vide. Au risque d’accrocher les griffons et les chimères de l’immense flambeau, il se maintint là sous le feu et la cire des bougies, au grand mécontentement de Martial. Trop adroit pour interpeller brusquement la petite dame bleue qu’il avait à sa droite, le colonel commença par dire à une grande dame assez laide qui se trouvait assise à sa gauche : — Voilà, madame, un bien beau bal ! Quel luxe ! quel mouvement ! D’honneur, les femmes y sont toutes jolies ! Si vous ne dansez pas, c’est sans doute mauvaise volonté.

Cette insipide conversation engagée par le colonel avait pour but de faire parler sa voisine de droite, qui, silencieuse et préoccupée, ne lui accordait pas la plus légère attention. L’officier tenait en réserve une foule de phrases qui devaient se terminer par un : Et vous, madame ? sur lequel il comptait beaucoup. Mais il fut étrangement surpris en apercevant quelques larmes dans les yeux de l’inconnue, que madame de Vaudremont paraissait captiver entièrement.

— Madame est sans doute mariée, demanda enfin le colonel Montcornet d’une voix mal assurée.

— Oui, monsieur, répondit l’inconnue.

— Monsieur votre mari est sans doute ici ?

— Oui, monsieur.

— Et pourquoi donc, madame, restez-vous à cette place ? est-ce par coquetterie ?