Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, I.djvu/342

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dix-neuvième, savait lire dans son cœur et dans sa pensée. La vieille dame semblait reconnaître les mouvements imperceptibles qui décèlent les affections de l’âme. Le pli le plus léger qui venait rider ce front si blanc et si pur, le tressaillement le plus insensible des pommettes, le jeu des sourcils, l’inflexion la moins visible des lèvres dont le corail mouvant ne pouvait lui rien cacher, étaient pour la duchesse comme les caractères d’un livre. Du fond de sa bergère, que sa robe remplissait entièrement, la coquette émérite, tout en causant avec un diplomate qui la recherchait afin de recueillir les anecdotes qu’elle contait si bien, s’admirait elle-même dans la jeune coquette ; elle la prit en goût en lui voyant si bien déguiser son chagrin et les déchirements de son cœur. Madame de Vaudremont ressentait en effet autant de douleur qu’elle feignait de gaieté : elle avait cru rencontrer dans Martial un homme de talent sur l’appui duquel elle comptait pour embellir sa vie de tous les enchantements du pouvoir ; en ce moment, elle reconnaissait une erreur aussi cruelle pour sa réputation que pour son amour-propre. Chez elle, comme chez les autres femmes de cette époque, la soudaineté des passions augmentait leur vivacité. Les âmes qui vivent beaucoup et vite ne souffrent pas moins que celles qui se consument dans une seule affection. La prédilection de la comtesse pour Martial était née de la veille, il est vrai ; mais le plus inepte des chirurgiens sait que la souffrance causée par l’amputation d’un membre vivant est plus douloureuse que ne l’est celle d’un membre malade. Il y avait de l’avenir dans le goût de madame de Vaudremont pour Martial, tandis que sa passion précédente était sans espérance, et empoisonnée par les remords de Soulanges. La vieille duchesse, qui épiait le moment opportun de parler à la comtesse, s’empressa de congédier son ambassadeur ; car, en présence de maîtresses et d’amants brouillés, tout intérêt pâlit, même chez une vieille femme. Pour engager la lutte, madame de Grandlieu lança sur madame de Vaudremont un regard sardonique qui fit craindre à la jeune coquette de voir son sort entre les mains de la douairière. Il est de ces regards de femme à femme qui sont comme des flambeaux amenés dans les dénouements de tragédie. Il faut avoir connu cette duchesse pour apprécier la terreur que le jeu de sa physionomie inspirait à la comtesse. Madame de Grandlieu était grande, ses traits faisaient dire d’elle : — Voilà une femme qui a dû être jolie ! Elle se couvrait les joues de tant de rouge