Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, I.djvu/395

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l’âme noble… Fi donc ! Voyons, sera-ce une si grande perte pour vous qu’elle ne puisse se réparer ?

— Madame, si je connaissais un sacrifice à faire pour regagner votre estime, il serait bientôt accompli ; mais quitter Malaga n’en est pas un…

— Dans votre position, voilà ce que je dirais si j’étais homme, répondit Clémentine. Eh bien ! si je prends cela pour un grand sacrifice, il n’y a pas de quoi se fâcher.

Paz sortit en craignant de commettre quelque sottise, il se sentait gagner par des idées folles. Il alla se promener au grand air, légèrement vêtu malgré le froid, sans pouvoir éteindre les feux de sa face et de son front.

— Je vous ai cru l’âme noble ! Ces mots, il les entendait toujours. — Et il y a bientôt un an, se disait-il, j’avais à moi seul battu les Russes ! Il pensait à laisser l’hôtel Laginski, à demander du service dans les spahis et à se faire tuer en Afrique ; mais il fut arrêté par une horrible crainte. — Sans moi, que deviendront-ils ? on les ruinerait bientôt. Pauvre comtesse ! quelle horrible vie pour elle que d’être seulement réduite à trente mille livres de rentes ? Allons, se dit-il, puisqu’elle est perdue pour moi, du courage, et achevons mon ouvrage.

Chacun sait que depuis 1830 le carnaval a pris à Paris un développement prodigieux qui le rend européen et bien autrement burlesque, bien autrement animé que feu le carnaval de Venise. Est-ce que, les fortunes diminuant outre mesure, les parisiens auraient inventé de s’amuser collectivement, comme avec leurs clubs ils font des salons sans maîtresses de maison, sans politesse et à bon marché ? Quoi qu’il en soit, le mois de mars prodiguait alors ces bals où la danse, la farce, la grosse joie, le délire, les images grotesques et les railleries aiguisées par l’esprit parisien arrivent à des effets gigantesques. Cette folie avait alors, rue Saint-Honoré, son Pandémonium, et dans Musard son Napoléon, un petit homme fait exprès pour commander une musique aussi puissante que la foule en désordre, et pour conduire le galop, cette ronde du sabbat, une des gloires d’Auber, car le galop n’a eu sa forme et sa poésie que depuis le grand galop de Gustave. Cet immense final ne pourrait-il pas servir de symbole à une époque où, depuis cinquante ans, tout défile avec la rapidité d’un rêve ? Or, le grave Thaddée, qui portait une divine image immaculée dans son cœur, alla proposer à