Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, I.djvu/467

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héritière. Elle enfanta de ces plans bizarres autour desquels flottent d’ailleurs presque toutes les imaginations de jeunes filles, quand, au milieu de la solitude où quelques mères imprudentes les retiennent, elles sont excitées par un événement capital que le système de compression auquel elles sont soumises n’a pu ni prévoir ni empêcher. Elle pensait à descendre avec une échelle, par le kiosque, dans le jardin de la maison où demeurait Albert, à profiter du sommeil de l’avocat, pour voir par sa fenêtre l’intérieur de son cabinet. Elle pensait à lui écrire, elle pensait à briser les liens de la société bisontine, en introduisant Albert dans le salon de l’hôtel de Rupt. Cette entreprise, qui eût paru le chef-d’œuvre de l’impossible à l’abbé de Grancey lui-même, fut l’affaire d’une pensée.

— Ah ! se dit-elle, mon père a des contestations à sa terre des Rouxey, j’irai ! S’il n’y a pas de procès, j’en ferai naître, et il viendra dans notre salon ! s’écria-t-elle en s’élançant de son lit à sa fenêtre pour aller voir la lumière prestigieuse qui éclairait les nuits d’Albert. Une heure du matin sonnait, il dormait encore.

— Je vais le voir à son lever, il viendra peut-être à sa fenêtre !

En ce moment, mademoiselle de Watteville fut témoin d’un événement qui devait remettre entre ses mains le moyen d’arriver à connaître les secrets d’Albert. À la lueur de la lune, elle aperçut deux bras tendus hors du kiosque, et qui aidèrent Jérôme, le domestique d’Albert, à franchir la crête du mur et à entrer sous le kiosque. Dans la complice de Jérôme, Philomène reconnut aussitôt Mariette, la femme de chambre.

— Mariette et Jérôme ! se dit-elle. Mariette, une fille si laide ! Certes, ils doivent avoir honte l’un et l’autre.

Si Mariette était horriblement laide et âgée de trente-six ans, elle avait eu par héritage plusieurs quartiers de terre. Depuis dix-sept ans au service de madame de Watteville, qui l’estimait fort à cause de sa dévotion, de sa probité, de son ancienneté dans la maison, elle avait sans doute économisé, placé ses gages et ses profits. Or, à raison d’environ dix louis par année, elle devait posséder, en comptant les intérêts des intérêts et ses héritages, environ quinze mille francs. Aux yeux de Jérôme, quinze mille francs changeaient les lois de l’optique : il trouvait à Mariette une jolie taille, il ne voyait plus les trous et les coutures qu’une affreuse petite vérole avait laissés sur ce visage plat et sec ; pour lui, la bouche contournée était droite ; et, depuis qu’en le prenant à son service l’avocat Savaron