Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, I.djvu/493

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Deux mois avant les élections, une réunion eut lieu chez monsieur Boucher le père, composée de l’entrepreneur qui comptait sur les travaux du pont et des eaux d’Arcier, du beau-père de monsieur Boucher, de monsieur Granet, cet homme influent à qui Savarus avait rendu service et qui devait le proposer comme candidat, de l’avoué Girardet, de l’imprimeur de la Revue de l’Est et du président du tribunal de commerce. Enfin cette réunion compta vingt-sept de ces personnes appelées dans les provinces les gros bonnets. Chacune d’elles représentait en moyenne six voix ; mais en les recensant, elles furent portées à dix, car on commence toujours par s’exagérer à soi-même son influence. Parmi ces vingt-sept personnes, le préfet en avait une à lui, quelque faux-frère qui secrètement attendait une faveur du Ministère pour les siens ou pour lui-même. Dans cette première réunion, on convint de choisir l’avocat Savaron pour candidat, avec un enthousiasme que personne n’aurait pu espérer à Besançon. En attendant chez lui qu’Alfred Boucher vînt le chercher, Albert causait avec l’abbé de Grancey qui s’intéressait à cette immense ambition. Albert avait reconnu l’énorme capacité politique du prêtre, et le prêtre ému par les prières de ce jeune homme, avait bien voulu lui servir de guide et de conseil dans cette lutte suprême. Le Chapitre n’aimait pas monsieur de Chavoncourt : car le beau-frère de sa femme, président du tribunal, avait fait perdre le fameux procès en première instance.

— Vous êtes trahi, mon cher enfant, lui disait le fin et respectable abbé de cette voix douce et calme que se font les vieux prêtres.

— Trahi !… s’écria l’amoureux atteint au cœur.

— Et par qui, je n’en sais rien, répliqua le prêtre. La Préfecture est au fait de vos plans et lit dans votre jeu. Je ne puis vous donner en ce moment aucun conseil. De semblables affaires veulent être étudiées. Quant à ce soir, dans cette réunion, allez au-devant des coups qu’on va vous porter. Dites toute votre vie antérieure, vous atténuerez ainsi l’effet que cette découverte produirait sur les Bisontins.

— Oh ! je m’y suis attendu, dit Savarus d’une voix altérée.

— Vous n’avez pas voulu profiter de mon conseil, vous avez eu l’occasion de vous produire à l’hôtel de Rupt, vous ne savez pas ce que vous y auriez gagné…

— Quoi ?