Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, I.djvu/53

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ne l’avaient été les amateurs. Quoique cette aventure fît du bruit dans le monde, elle n’était pas de nature à parvenir au fond de la petite Thébaïde de la rue Saint-Denis. Néanmoins, en venant faire une visite à madame Guillaume, la femme du notaire parla de l’exposition devant Augustine, qu’elle aimait beaucoup, et lui en expliqua le but. Le babil de madame Roguin inspira naturellement à Augustine le désir de voir les tableaux, et la hardiesse de demander secrètement à sa cousine de l’accompagner au Louvre. La cousine réussit dans la négociation qu’elle entama auprès de madame Guillaume, pour obtenir la permission d’arracher sa petite cousine à ses tristes travaux pendant environ deux heures. La jeune fille pénétra donc, à travers la foule, jusqu’au tableau couronné. Un frisson la fit trembler comme une feuille de bouleau, quand elle se reconnut. Elle eut peur et regarda autour d’elle pour rejoindre madame Roguin, de qui elle avait été séparée par un flot de monde. En ce moment ses yeux effrayés rencontrèrent la figure enflammée du jeune peintre. Elle se rappela tout à coup la physionomie d’un promeneur que, curieuse, elle avait souvent remarqué, en croyant que c’était un nouveau voisin.

— Vous voyez ce que l’amour m’a fait faire, dit l’artiste à l’oreille de la timide créature qui resta tout épouvantée de ces paroles.

Elle trouva un courage surnaturel pour fendre la presse, et pour rejoindre sa cousine encore occupée à percer la masse du monde qui l’empêchait d’arriver jusqu’au tableau.

— Vous seriez étouffée, s’écria Augustine, partons !

Mais il se rencontre, au Salon, certains moments pendant lesquels deux femmes ne sont pas toujours libres de diriger leurs pas dans les galeries. Mademoiselle Guillaume et sa cousine furent poussées à quelques pas du second tableau, par suite des mouvements irréguliers que la foule leur imprima. Le hasard voulut qu’elles eussent la facilité d’approcher ensemble de la toile illustrée par la mode, d’accord cette fois avec le talent. La femme du notaire fit une exclamation de surprise perdue dans le brouhaha et les bourdonnements de la foule ; mais Augustine pleura involontairement à l’aspect de cette merveilleuse scène. Puis, par un sentiment presque inexplicable, elle mit un doigt sur ses lèvres en apercevant à deux pas d’elle la figure extatique du jeune artiste. L’inconnu répondit par un signe de tête et désigna madame Roguin,