Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, II.djvu/131

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Chantepleurs, et nous serons chez toi vers le 10 mai. Nous allons donc nous revoir après plus de deux ans. Et quels changements ! Nous voilà toutes deux femmes : moi la plus heureuse des maîtresses, toi la plus heureuse des mères. Si je ne t’ai pas écrit, mon cher amour, je ne t’ai pas oubliée. Et mon filleul, ce singe, est-il toujours joli ? me fait-il honneur ? il aura plus de neuf mois. Je voudrais bien assister à ses premiers pas dans le monde ; mais Macumer me dit que les enfants précoces marchent à peine à dix mois. Nous taillerons donc des bavettes, en style du Blésois. Je verrai si, comme on le dit, un enfant gâte la taille.

P. S. Si tu me réponds, mère sublime, adresse ta lettre à Chantepleurs, je pars.




XXXIII

MADAME DE L’ESTORADE À MADAME DE MACUMER.


Eh ! mon enfant, si jamais tu deviens mère, tu sauras si l’on peut écrire pendant les neuf premiers mois de la nourriture. Mary, ma bonne anglaise, et moi, nous sommes sur les dents. Il est vrai que je ne t’ai pas dit que je tiens à tout faire moi-même. Avant l’événement, j’avais de mes doigts cousu la layette et brodé, garni moi-même les bonnets. Je suis esclave, ma mignonne, esclave le jour et la nuit. Et d’abord Armand-Louis tette quand il veut, et il veut toujours ; puis il faut si souvent le changer, le nettoyer, l’habiller ; la mère aime tant à le regarder endormi, à lui chanter des chansons, à le promener quand il fait beau en le tenant sur ses bras, qu’il ne lui reste pas de temps pour se soigner elle-même. Enfin, tu avais le monde, j’avais mon enfant, notre enfant ! Quelle vie riche et pleine ! Oh ! ma chère, je t’attends, tu verras ! Mais j’ai peur que le travail des dents ne commence, et que tu ne le trouves bien criard, bien pleureur. Il n’a pas encore beaucoup crié, car je suis toujours là. Les enfants ne crient que parce qu’ils ont des besoins qu’on ne sait pas deviner, et je suis à la piste des siens. Oh ! mon ange, combien mon cœur s’est agrandi pendant que tu rapetissais le tien en le mettant au service du monde ! Je t’attends avec une impatience