Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, II.djvu/203

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

courage, mais il est atteint : je ne m’étonnerais pas de le voir suivre naturellement sa femme. Hier il m’a dit en tournant autour de la pièce d’eau : — Je dois être le père de ces deux enfants… Et il me montrait sa belle-sœur qui promenait ses neveux. Mais, quoique je ne veuille rien faire pour m’en aller de ce monde, promettez-moi d’être une seconde mère pour eux et de laisser votre mari accepter la tutelle officieuse que je lui confierai conjointement avec ma belle-sœur. Il a dit cela sans la moindre emphase et comme un homme qui se sent perdu. Sa figure répond par des sourires aux sourires de Louise, et il n’y a que moi qui ne m’y trompe pas. Il déploie un courage égal au sien. Louise a désiré voir son filleul ; mais je ne suis pas fâchée qu’il soit en Provence, elle aurait pu lui faire quelques libéralités qui m’auraient fort embarrassée.

Adieu, mon ami.


25 août (le jour de sa fête).


Hier au soir Louise a eu pendant quelques moments le délire ; mais ce fut un délire vraiment élégant, qui prouve que les gens d’esprit ne deviennent pas fous comme les bourgeois ou comme les sots. Elle a chanté d’une voix éteinte quelques airs italiens des Puritani, de la Sonnambula et de Mosé. Nous étions tous silencieux autour du lit, et nous avons tous eu, même son frère Rhétoré, des larmes dans les yeux, tant il était clair que son âme s’échappait ainsi. Elle ne nous voyait plus ! Il y avait encore toute sa grâce dans les agréments de ce chant faible et d’une douceur divine. L’agonie a commencé dans la nuit. Je viens, à sept heures du matin, de la lever moi-même ; elle a retrouvé quelque force, elle a voulu s’asseoir à sa croisée, elle a demandé la main de Gaston… Puis, mon ami, l’ange le plus charmant que nous pourrons voir jamais sur cette terre ne nous a plus laissé que sa dépouille. Administrée la veille à l’insu de Gaston, qui, pendant la terrible cérémonie, a pris un peu de sommeil, elle avait exigé de moi que je lui lusse en français le De profundis, pendant qu’elle serait ainsi face à face avec la belle nature qu’elle s’était créée. Elle répétait mentalement les paroles et serrait les mains de son mari, agenouillé de l’autre côté de la bergère.