Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, II.djvu/231

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du monde, le vent des orages siffla autour d’elle. Ses prétendues amies, qui dominaient leur réputation de toute la hauteur de leurs noms et de leurs positions, lui dessinèrent à plusieurs reprises la séduisante figure de l’amant, et lui jetèrent dans l’âme des paroles ardentes sur l’amour, le mot de l’énigme que la vie offre aux femmes, la grande passion, suivant madame de Staël qui prêcha d’exemple. Quand la comtesse demandait naïvement en petit comité quelle différence il y avait entre un amant et un mari, jamais une des femmes qui souhaitaient quelque malheur à Vandenesse ne faillait à lui répondre de manière à piquer sa curiosité, à solliciter son imagination, à frapper son cœur, à intéresser son âme.

— On vivote avec son mari, ma chère, on ne vit qu’avec son amant, lui disait sa belle-sœur, la marquise de Vandenesse.

— Le mariage, mon enfant, est notre purgatoire ; l’amour est le paradis, disait lady Dudley.

— Ne la croyez pas, s’écriait la duchesse de Grandlieu, c’est l’enfer.

— Mais c’est un enfer où l’on aime, faisait observer la marquise de Rochegude. On a souvent plus de plaisir dans la souffrance que dans le bonheur : voyez les martyrs.

— Avec un mari, petite niaise, nous vivons pour ainsi dire de notre vie ; mais aimer, c’est vivre de la vie d’un autre, lui disait la marquise d’Espard.

— Un amant, c’est le fruit défendu, mot qui pour moi résume tout, disait en riant la jolie Moïna de Saint-Hérem.

Quand elle n’allait pas à des routs diplomatiques ou au bal chez quelques riches étrangers, comme lady Dudley ou la princesse Galathionne, la comtesse allait presque tous les soirs dans le monde, après les Italiens ou l’Opéra, soit chez la marquise d’Espard, soit chez madame de Listomère, mademoiselle des Touches, la comtesse de Montcornet ou la vicomtesse de Grandlieu, les seules maisons aristocratiques ouvertes ; et jamais elle n’en sortait sans que de mauvaises graines n’eussent été semées dans son cœur. On lui parlait de compléter sa vie, un mot à la mode dans ce temps-là ; d’être comprise, autre mot auquel les femmes donnent d’étranges significations. Elle revenait chez elle inquiète, émue, curieuse, pensive. Elle trouvait je ne sais quoi de moins dans sa vie, mais elle n’allait pas jusqu’à la voir déserte.

La société la plus amusante, mais la plus mêlée, des salons où al-