Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, II.djvu/235

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lui valait plus de réputation que toutes les pièces si productives faites avec ses collaborateurs, mais dans un monde peu écouté, celui des connaisseurs et des vrais gens de goût. — Encore une chute semblable, lui dit Émile Blondet, et tu deviens immortel. Mais, au lieu de marcher dans cette voie difficile, Nathan était retombé par nécessité dans la poudre et les mouches du vaudeville dix-huitième siècle, dans la pièce à costumes, et la réimpression scénique des livres à succès. Néanmoins, il passait pour un grand esprit qui n’avait pas donné son dernier mot. Il avait d’ailleurs abordé la haute littérature et publié trois romans, sans compter ceux qu’il entretenait sous presse comme des poissons dans un vivier. L’un de ces trois livres, le premier, comme chez plusieurs écrivains qui n’ont pu faire qu’un premier ouvrage, avait obtenu le plus brillant succès. Cet ouvrage, imprudemment mis alors en première ligne, cette œuvre d’artiste, il la faisait appeler à tout propos le plus beau livre de l’époque, l’unique roman du siècle. Il se plaignait d’ailleurs beaucoup des exigences de l’art ; il était un de ceux qui contribuèrent le plus à faire ranger toutes les œuvres, le tableau, la statue, le livre, l’édifice, sous la bannière unique de l’Art. Il avait commencé par commettre un livre de poésies qui lui méritait une place dans la pléiade des poètes actuels, et parmi lesquelles se trouvait un poème nébuleux assez admiré. Tenu de produire par son manque de fortune, il allait du théâtre à la presse, et de la presse au théâtre, se dissipant, s’éparpillant et croyant toujours en sa veine. Sa gloire n’était donc pas inédite comme celle de plusieurs célébrités à l’agonie, soutenues par les titres d’ouvrages à faire, lesquels n’auront pas autant d’éditions qu’ils ont nécessité de marchés. Nathan ressemblait à un homme de génie ; et s’il eût marché à l’échafaud, comme l’envie lui en prit, il aurait pu se frapper le front à la manière d’André de Chénier. Saisi d’une ambition politique en voyant l’irruption au pouvoir d’une douzaine d’auteurs, de professeurs, de métaphysiciens et d’historiens qui s’incrustèrent dans la machine pendant les tourmentes de 1830 à 1833, il regretta de ne pas avoir fait des articles politiques au lieu d’articles littéraires. Il se croyait supérieur à ces parvenus dont la fortune lui inspirait alors une dévorante jalousie. Il appartenait à ces esprits jaloux de tout, capables de tout, à qui l’on vole tous les succès, et qui vont se heurtant à mille endroits lumineux sans se fixer à un seul, épuisant toujours la volonté du voisin. En ce moment, il allait du saint-simonisme au républica-