Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, II.djvu/325

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heureuse et mobile comme son âme impressible. Il y avait de la passion, de la tendresse dans ses yeux vifs ; et son cœur, essentiellement bon, ne les démentait pas. La résolution qu’il prit en entrant à Courcelles fut donc en harmonie avec la nature de son caractère franc et de son imagination ardente. Malgré l’intrépidité de l’amour, il ne put cependant se défendre d’une violente palpitation quand, après avoir traversé une grande cour dessinée en jardin anglais, il arriva dans une salle où un valet de chambre, lui ayant demandé son nom, disparut et revint pour l’introduire.

— Monsieur le baron de Nueil.

Gaston entra lentement, mais d’assez bonne grâce, chose plus difficile encore dans un salon où il n’y a qu’une femme que dans celui où il y en a vingt. À l’angle de la cheminée, où, malgré la saison, brillait un grand foyer, et sur laquelle se trouvaient deux candélabres allumés jetant de molles lumières, il aperçut une jeune femme assise dans cette moderne bergère à dossier très-élevé, dont le siége bas lui permettait de donner à sa tête des poses variées pleines de grâce et d’élégance, de l’incliner, de la pencher, de la redresser languissamment, comme si c’était un fardeau pesant ; puis de plier ses pieds, de les montrer ou de les rentrer sous les longs plis d’une robe noire. La vicomtesse voulut placer sur une petite table ronde le livre qu’elle lisait ; mais ayant en même temps tourné la tête vers monsieur de Nueil, le livre, mal posé, tomba dans l’intervalle qui séparait la table de la bergère. Sans paraître surprise de cet accident, elle se rehaussa, et s’inclina pour répondre au salut du jeune homme, mais d’une manière imperceptible et presque sans se lever de son siége où son corps resta plongé. Elle se courba pour s’avancer, remua vivement le feu ; puis elle se baissa, ramassa un gant qu’elle mit avec négligence à sa main gauche, en cherchant l’autre par un regard promptement réprimé ; car de sa main droite, main blanche, presque transparente, sans bagues, fluette, à doigts effilés, et dont les ongles roses formaient un ovale parfait, elle montra une chaise comme pour dire à Gaston de s’asseoir. Quand son hôte inconnu fut assis, elle tourna la tête vers lui par un mouvement interrogeant et coquet dont la finesse ne saurait se peindre ; il appartenait à ces intentions bienveillantes, à ces gestes gracieux, quoique précis, que donnent l’éducation première et l’habitude constante des choses de bon goût. Ces mouvements multipliés se succédèrent rapidement en un instant, sans saccades ni brusquerie,