Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, II.djvu/329

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

prit, les fugitives pudeurs de ses sensations tantôt timides, tantôt hardies, étonnant mélange de coquetterie et de naïveté !

— Madame, s’écria doucement Gaston, vous connaissez ma faute, mais vous ignorez mes crimes. Si vous saviez avec quel bonheur j’ai…

— Ah ! prenez garde, dit-elle en levant un de ses doigts d’un air mystérieux à la hauteur de son nez, qu’elle effleura ; puis, de l’autre main, elle fit un geste pour prendre le cordon de la sonnette.

Ce joli mouvement, cette gracieuse menace provoquèrent sans doute une triste pensée, un souvenir de sa vie heureuse, du temps où elle pouvait être tout charme et tout gentillesse, où le bonheur justifiait les caprices de son esprit comme il donnait un attrait de plus aux moindres mouvements de sa personne. Elle amassa les rides de son front entre ses deux sourcils ; son visage, si doucement éclairé par les bougies, prit une sombre expression ; elle regarda monsieur de Nueil avec une gravité dénuée de froideur, et lui dit en femme profondément pénétrée par le sens de ses paroles : — Tout ceci est bien ridicule ! Un temps a été, monsieur, où j’avais le droit d’être follement gaie, où j’aurais pu rire avec vous et vous recevoir sans crainte mais aujourd’hui, ma vie est bien changée, je ne suis plus maîtresse de mes actions, et suis forcée d’y réfléchir. À quel sentiment dois-je votre visite ? Est-ce curiosité ? Je paie alors bien cher un fragile instant de bonheur. Aimeriez-vous déjà passionnément une femme infailliblement calomniée et que vous n’avez jamais vue ? Vos sentiments seraient donc fondés sur la mésestime, sur une faute à laquelle le hasard a donné de la célébrité. Elle jeta son livre sur la table avec dépit — Hé ! quoi, reprit-elle après avoir lancé un regard terrible sur Gaston, parce que j’ai été faible, le monde veut donc que je le sois toujours ? Cela est affreux, dégradant. Venez-vous chez moi pour me plaindre ? Vous êtes bien jeune pour sympathiser avec des peines de cœur. Sachez-le bien, monsieur, je préfère le mépris à la pitié ; je ne veux subir la compassion de personne. Il y eut un moment de silence. — Eh ! bien, vous voyez, monsieur, reprit-elle en levant la tête vers lui d’un air triste et doux, quel que soit le sentiment qui vous ait porté à vous jeter étourdiment dans ma retraite, vous me blessez. Vous êtes trop jeune pour être tout à fait dénué de bonté, vous sentirez donc l’inconvenance de votre démarche ; je vous la pardonne, et vous en parle maintenant sans amertume. Vous ne reviendrez plus ici, n’est-