Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, II.djvu/402

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qu’il ne me payât pas, je l’assignerais encore plus promptement que tout autre débiteur. En ce moment nous entendîmes frapper doucement à la porte de la chambre. — Je n’y suis pas ! dit impérieusement la jeune femme. — Anastasie, je voudrais cependant bien vous voir. — Pas en ce moment, mon cher, répondit-elle d’une voix moins dure, mais néanmoins sans douceur. — Quelle plaisanterie ! vous parlez à quelqu’un, répondit en entrant un homme qui ne pouvait être que le comte. La comtesse me regarda, je la compris, elle devint mon esclave. Il fut un temps, jeune homme, où j’aurais été peut-être assez bête pour ne pas protester. En 1763, à Pondichéry, j’ai fait grâce à une femme qui m’a joliment roué. Je le méritais, pourquoi m’étais-je fié à elle ? — Que veut monsieur ? me demanda le comte. Je vis la femme frissonnant de la tête aux pieds, la peau blanche et satinée de son cou devint rude, elle avait, suivant un terme familier, la chair de poule. Moi, je riais, sans qu’aucun de mes muscles ne tressaillît. — Monsieur est un de mes fournisseurs, dit-elle. Le comte me tourna le dos, je tirai le billet à moitié hors de ma poche. À ce mouvement inexorable, la jeune femme vint à moi, me présenta un diamant : — Prenez, dit elle, et allez-vous-en. Nous échangeâmes les deux valeurs, et je sortis en la saluant. Le diamant valait bien une douzaine de cents francs pour moi. Je trouvai dans la cour une nuée de valets qui brossaient leurs livrées, ciraient leurs bottes ou nettoyaient de somptueux équipages. — Voilà, me dis-je, ce qui amène ces gens-là chez moi. Voilà ce qui les pousse à voler décemment des millions, à trahir leur patrie. Pour ne pas se crotter en allant à pied, le grand seigneur, ou celui qui le singe, prend une bonne fois un bain de boue ! En ce moment, la grande porte s’ouvrit, et livra passage au cabriolet du jeune homme qui m’avait présenté le billet. — Monsieur, lui dis-je quand il fut descendu, voici deux cents francs que je vous prie de rendre à madame la comtesse, et vous lui ferez observer que je tiendrai à sa disposition pendant huit jours le gage qu’elle m’a remis ce matin. Il prit les deux cents francs, et laissa échapper un sourire moqueur, comme s’il eût dit : — Ha ! elle a payé. Ma foi, tant mieux ! J’ai lu sur cette physionomie l’avenir de la comtesse. Ce joli monsieur blond, froid, joueur sans âme se ruinera, la ruinera, ruinera le mari, ruinera les enfants, mangera leurs dots, et causera plus de ravages à travers les salons que n’en causerait une batterie d’obusiers dans un régiment. Je me rendis rue