Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, II.djvu/413

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taux ordinaire), et vous le tirerez de peine (si cela vous convient). Monsieur de Trailles s’inclina devant l’usurier, s’assit, et prit pour l’écouter une de ces attitudes courtisanesques dont la gracieuse bassesse vous eût séduit ; mais mon Gobseck resta sur sa chaise, au coin de son feu, immobile, impassible. Gobseck ressemblait à la statue de Voltaire vue le soir sous le péristyle du Théâtre-Français, il souleva légèrement, comme pour saluer, la casquette usée avec laquelle il se couvrait le chef, et le peu de crâne jaune qu’il montra achevait sa ressemblance avec le marbre. — Je n’ai d’argent que pour mes pratiques, dit-il. — Vous êtes donc bien fâché que je sois allé me ruiner ailleurs que chez vous ? répondit le comte en riant. — Ruiner ! reprit Gobseck d’un ton d’ironie. — Allez-vous dire que l’on ne peut pas ruiner un homme qui ne possède rien ? Mais je vous défie de trouver à Paris un plus beau capital que celui-ci, s’écria le fashionable en se levant et tournant sur ses talons. Cette bouffonnerie presque sérieuse n’eut pas le don d’émouvoir Gobseck. — Ne suis-je pas l’ami intime des Ronquerolles, des de Marsay, des Franchessini, des deux Vandenesse, des Ajuda-Pinto, enfin, de tous les jeunes gens les plus à la mode dans Paris ? Je suis au jeu l’allié d’un prince et d’un ambassadeur que vous connaissez. J’ai mes revenus à Londres, à Carlsbad, à Baden, à Bath. N’est-ce pas la plus brillante des industries ? — Vrai. — Vous faites une éponge de moi, mordieu ! et vous m’encouragez à me gonfler au milieu du monde, pour me presser dans les moments de crise ; mais vous êtes aussi des éponges, et la mort vous pressera. — Possible. — Sans les dissipateurs, que deviendriez-vous ? nous sommes à nous deux l’âme et le corps. — Juste. — Allons, une poignée de main, mon vieux papa Gobseck, et de la magnanimité, si cela est vrai, juste et possible. — Vous venez à moi, répondit froidement l’usurier, parce que Girard, Palma, Werbrust et Gigonnet ont le ventre plein de vos lettres de change, qu’ils offrent partout à cinquante pour cent de perte ; or, comme ils n’ont probablement fourni que moitié de la valeur, elles ne valent pas vingt-cinq. Serviteur ! Puis-je décemment, dit Gobseck en continuant, prêter une seule obole à un homme qui doit trente mille francs et ne possède pas un denier ? Vous avez perdu dix mille francs avant-hier au bal chez le baron de Nucingen. — Monsieur, répondit le comte avec une rare impudence en toisant le vieillard, mes affaires ne vous regardent pas. Qui a terme, ne doit rien. — Vrai ! — Mes lettres