Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, II.djvu/431

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mon Ernest, tu es assez grand, assez raisonnable pour t’apercevoir que ton père me repousse, ne veut pas de mes soins, et cela n’est pas naturel, car tu sais combien je l’aime. — Oui, maman. — Mon pauvre enfant, dit la comtesse en pleurant, ce malheur est le résultat d’insinuations perfides. De méchantes gens ont cherché à me séparer de ton père, dans le but de satisfaire leur avidité. Ils veulent nous priver de notre fortune et se l’approprier. Si ton père était bien portant, la division qui existe entre nous cesserait bientôt, il m’écouterait ; et comme il est bon, aimant, il reconnaîtrait son erreur ; mais sa raison s’est altérée, et les préventions qu’il avait contre moi sont devenues une idée fixe, une espèce de folie, l’effet de sa maladie. La prédilection que ton père a pour toi est une nouvelle preuve du dérangement de ses facultés. Tu ne t’es jamais aperçu qu’avant sa maladie il aimât moins Pauline et Georges que toi. Tout est caprice chez lui. La tendresse qu’il te porte pourrait lui suggérer l’idée de te donner des ordres à exécuter. Si tu ne veux pas ruiner ta famille, mon cher ange, et ne pas voir ta mère mendiant son pain un jour comme une pauvresse, il faut tout lui dire… — Ah ! ah ! s’écria le comte, qui, ayant ouvert la porte, se montra tout à coup presque nu, déjà même aussi sec, aussi décharné qu’un squelette. Ce cri sourd produisit un effet terrible sur la comtesse, qui resta immobile et comme frappée de stupeur. Son mari était si frêle et si pâle, qu’il semblait sortir de la tombe. — Vous avez abreuvé ma vie de chagrins, et vous voulez troubler ma mort, pervertir la raison de mon fils, en faire un homme vicieux, cria-t-il d’une voix rauque. La comtesse alla se jeter au pied de ce mourant que les dernières émotions de la vie rendaient presque hideux et y versa un torrent de larmes. — Grâce ! grâce ! s’écria-t-elle. — Avez-vous eu de la pitié pour moi ? demanda-t-il. Je vous ai laissée dévorer votre fortune, voulez-vous maintenant dévorer la mienne, ruiner mon fils ! — Eh ! bien, oui, pas de pitié pour moi, soyez inflexible, dit-elle, mais les enfants ! Condamnez votre veuve à vivre dans un couvent, j’obéirai ; je ferai pour expier mes fautes envers vous, tout ce qu’il vous plaira de m’ordonner ; mais que les enfants soient heureux ! Oh ! les enfants ! les enfants ! — Je n’ai qu’un enfant, répondit le comte en tendant, par un geste désespéré, son bras décharné vers son fils. — Pardon ! repentie, repentie !… criait la comtesse en embrassant les pieds humides de son mari. Les sanglots l’empêchaient de parler et des