Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, II.djvu/453

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le vois bien, dis-je d’un air contrit. Vous avez beaucoup trop d’esprit dans votre colère pour que votre cœur en souffre. Cette modeste épigramme redoubla sa fureur, elle trouva des larmes de dépit. — Vous me déshonorez le monde et la vie, dit-elle, vous m’enlevez toutes mes illusions, vous me dépravez le cœur. Elle me dit tout ce que j’avais le droit de lui dire avec une simplicité d’effronterie, avec une témérité naïve qui certes eussent cloué sur place un autre homme que moi. — Qu’allons-nous être, pauvres femmes, dans la société que nous fait la Charte de Louis XVIII !… (Jugez jusqu’où l’avait entraînée sa phraséologie.) — Oui, nous sommes nées pour souffrir. En fait de passion, nous sommes toujours au-dessus et vous au-dessous de la loyauté. Vous n’avez rien d’honnête au cœur. Pour vous l’amour est un jeu où vous trichez toujours. — Chère, lui dis-je, prendre quelque chose au sérieux dans la société actuelle, ce serait filer le parfait amour avec une actrice. — Quelle infâme trahison ! elle a été raisonnée… — Non, raisonnable. — Adieu, monsieur de Marsay. dit-elle, vous m’avez horriblement trompée… — Madame la duchesse, répondis-je en prenant une attitude soumise, se souviendra-t-elle donc des injures de Charlotte ? — Certes, dit-elle d’un ton amer. — Ainsi, vous me détestez ? Elle inclina la tête, et je me dis en moi-même : il y a de la ressource ! Je partis sur un sentiment qui lui laissait croire qu’elle avait quelque chose à venger. Eh ! bien, mes amis, j’ai beaucoup étudié la vie des hommes qui ont eu des succès auprès des femmes, mais je ne crois pas que ni le maréchal de Richelieu, ni Lauzun, ni Louis de Valois aient jamais fait, pour la première fois, une si savante retraite. Quant à mon esprit et à mon cœur, ils se sont formés là pour toujours, et l’empire qu’alors j’ai su conquérir sur les mouvements irréfléchis qui nous font faire tant de sottises, m’a donné ce beau sang-froid que vous connaissez.

— Combien je plains la seconde ! dit la baronne de Nucingen.

Un sourire imperceptible, qui vint effleurer les lèvres pâles de de Marsay, fit rougir Delphine de Nucingen.

Gomme on ouplie ! s’écria le baron de Nucingen.

La naïveté du célèbre banquier eut un tel succès que sa femme, qui fut cette seconde de de Marsay, ne put s’empêcher de rire comme tout le monde.

— Vous êtes tous disposés à condamner cette femme, dit lady Dudley, eh ! bien, je comprends comment elle ne considérait pas