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cher exilé. Sois fier au moins du bonheur que tu nous as fait, si tu ne peux en être heureux. Dieu sans doute écoutera nos prières pleines de toi.

Fernand.




XV

LOUISE DE CHAULIEU À MADAME DE L’ESTORADE.


Mars.

Ah ! mon ange, le mariage rend philosophe ?… Ta chère figure devait être jaune alors que tu m’écrivais ces terribles pensées sur la vie humaine et sur nos devoirs. Crois-tu donc que tu me convertiras au mariage par ce programme de travaux souterrains ? Hélas ! voilà donc où t’ont fait parvenir nos trop savantes rêveries ? Nous sommes sorties de Blois parées de toute notre innocence et armées des pointes aiguës de la réflexion : les dards de cette expérience purement morale des choses se sont tournés contre toi ! Si je ne te connaissais pas pour la plus pure et la plus angélique créature du monde, je te dirais que tes calculs sentent la dépravation. Comment, ma chère, dans l’intérêt de ta vie à la campagne, tu mets tes plaisirs en coupes réglées, tu traites l’amour comme tu traiteras tes bois ! Oh ! j’aime mieux périr dans la violence des tourbillons de mon cœur, que de vivre dans la sécheresse de ta sage arithmétique. Tu étais comme moi la jeune fille la plus instruite, parce que nous avions beaucoup réfléchi sur peu de choses ; mais, mon enfant, la philosophie sans l’amour, ou sous un faux amour, est la plus horrible des hypocrisies conjugales. Je ne sais pas si, de temps en temps, le plus grand imbécile de la terre n’apercevrait pas le hibou de la sagesse tapi dans ton tas de roses, découverte peu récréative qui peut faire enfuir la passion la mieux allumée. Tu te fais le destin, au lieu d’être son jouet. Nous tournons toutes les deux bien singulièrement : beaucoup de philosophie et peu d’amour, voilà ton régime ; beaucoup d’amour et peu de