Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, II.djvu/74

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dévouement. Depuis cette matinée où vous m’avez souri en noble fille qui devinait la misère de mon cœur solitaire et trahi, je vous ai intronisée : vous êtes la souveraine absolue de ma vie, la reine de mes pensées, la divinité de mon cœur, la lumière qui brille chez moi, la fleur de mes fleurs, le baume de l’air que je respire, la richesse de mon sang, la lueur dans laquelle je sommeille. Une seule pensée troublait ce bonheur : vous ignoriez avoir à vous un dévouement sans bornes, un bras fidèle, un esclave aveugle, un agent muet, un trésor, car je ne suis plus que le dépositaire de tout ce que je possède ; enfin, vous ne vous saviez pas un cœur à qui vous pouvez tout confier, le cœur d’une vieille aïeule à qui vous pouvez tout demander, un père de qui vous pouvez réclamer toute protection, un ami, un frère ; tous ces sentiments vous font défaut autour de vous, je le sais. J’ai surpris le secret de votre isolement ! Ma hardiesse est venue de mon désir de vous révéler l’étendue de vos possessions. Acceptez tout, Louise, vous m’aurez donné la seule vie qu’il y ait pour moi dans le monde, celle de me dévouer. En me passant le collier de la servitude, vous ne vous exposez à rien : je ne demanderai jamais autre chose que le plaisir de me savoir à vous. Ne me dites même pas que vous ne m’aimerez jamais : cela doit être, je le sais ; je dois aimer de loin, sans espoir et pour moi-même. Je voudrais bien savoir si vous m’acceptez pour serviteur, et je me suis creusé la tête afin de trouver une preuve qui vous atteste qu’il n’y aura de votre part aucune atteinte à votre dignité en me l’apprenant, car voici bien des jours que je suis à vous, à votre insu. Donc, vous me le diriez en ayant à la main un soir, aux Italiens, un bouquet composé d’un camélia blanc et d’un camélia rouge, l’image de tout le sang d’un homme aux ordres d’une candeur adorée. Tout sera dit alors : à toute heure, dans dix ans comme demain, quoi que vous vouliez qu’il soit possible à l’homme de faire, ce sera fait dès que vous le demanderez à votre heureux serviteur,

» Felipe Hénarès. »


P.-S. Ma chère, avoue que les grands seigneurs savent aimer ! Quel bond de lion africain ! quelle ardeur contenue ! quelle foi ! quelle sincérité ! quelle grandeur d’âme dans l’abaissement ! Je me suis sentie petite et me suis demandée tout abasourdie ! Que faire ?…