Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, III.djvu/112

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par un geste de terreur, son mari, qui regardait pensivement les fleurs du tapis. En ce moment, malgré son savoir-vivre, le diplomate ne se contint plus, et lança sur le notaire un regard foudroyant.

— Venez par ici, monsieur, lui dit-il en se dirigeant vivement vers la pièce qui précédait le salon.

Le notaire l’y suivit en tremblant et sans achever sa phrase.

— Monsieur, lui dit alors avec une rage concentrée le marquis de Vandenesse, qui ferma violemment la porte du salon où il laissait la femme et le mari, depuis le dîner vous n’avez fait ici que des sottises et dit que des bêtises. Pour Dieu ! allez-vous-en ; vous finiriez par causer les plus grands malheurs. Si vous êtes un excellent notaire, restez dans votre étude ; mais si, par hasard, vous vous trouvez dans le monde, tâchez d’y être plus circonspect…

Puis il rentra dans le salon, en quittant le notaire sans le saluer. Celui-ci resta pendant un moment tout ébaubi, perclus, sans savoir où il en était. Quand les bourdonnements qui lui tintaient aux oreilles cessèrent, il crut entendre des gémissements, des allées et venues dans le salon, où les sonnettes furent violemment tirées. Il eut peur de revoir le comte, et retrouva l’usage de ses jambes pour déguerpir et gagner l’escalier ; mais, à la porte des appartements, il se heurta dans les valets qui s’empressaient de venir prendre les ordres de leur maître.

— Voilà comme sont tous ces grands seigneurs, se dit-il enfin quand il fut dans la rue à la recherche d’un cabriolet, ils vous engagent à parler, vous y invitent par des compliments ; vous croyez les amuser, point du tout ! Ils vous font des impertinences, vous mettent à distance et vous jettent même à la porte sans se gêner. Enfin, j’étais fort spirituel ; je n’ai rien dit qui ne fût sensé, posé, convenable. Ma foi, il me recommande d’avoir plus de circonspection, je n’en manque pas. Hé ! diantre, je suis notaire et membre de ma chambre. Bah ! c’est une boutade d’ambassadeur, rien n’est sacré pour ces gens-là. Demain il m’expliquera comment je n’ai fait chez lui que des bêtises et dit que des sottises. Je lui demanderai raison ; c’est-à-dire je lui en demanderai la raison. Au total, j’ai tort, peut-être… Ma foi, je suis bien bon de me casser la tête ! Qu’est-ce que cela me fait ?

Le notaire revint chez lui, et soumit l’énigme à sa notaresse en lui racontant de point en point les événements de la soirée.