Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, III.djvu/119

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contristait sa fille par un adroit despotisme de femme, il n’était sensible qu’aux yeux de la victime. Au reste, l’événement seulement fit naître ces conjectures toutes insolubles. Jusqu’à cette nuit, aucune lumière accusatrice ne s’était échappée de ces deux âmes ; mais entre elles et Dieu certainement il s’élevait quelque sinistre mystère.

— Allons, Abel, s’écria la marquise en saisissant un moment où silencieux et fatigués Moïna et son frère restaient immobiles ; allons, venez, mon fils, il faut vous coucher… Et, lui lançant un regard impérieux, elle le prit vivement sur ses genoux.

— Comment, dit le général, il est dix heures et demie, et pas un de nos domestiques n’est rentré ? Ah ! les compères. Gustave, ajouta-t-il en se tournant vers son fils, je ne t’ai donné ce livre qu’à la condition de le quitter à dix heures ; tu aurais dû le fermer toi-même à l’heure dite et t’aller coucher comme tu me l’avais promis. Si tu veux être un homme remarquable, il faut faire de ta parole une seconde religion, et y tenir comme à ton honneur. Fox, un des plus grands orateurs de l’Angleterre, était surtout remarquable par la beauté de son caractère. La fidélité aux engagements pris est la principale de ses qualités. Dans son enfance, son père, un Anglais de vieille roche, lui avait donné une leçon assez vigoureuse pour faire une éternelle impression sur l’esprit d’un jeune enfant. À ton âge, Fox venait, pendant les vacances, chez son père, qui avait, comme tous les riches Anglais, un parc assez considérable autour de son château. Il se trouvait dans ce parc un vieux kiosque qui devait être abattu et reconstruit dans un endroit où le point de vue était magnifique. Les enfants aiment beaucoup à voir démolir. Le petit Fox voulait avoir quelques jours de vacances de plus pour assister à la chute du pavillon ; mais son père exigeait qu’il rentrât au collége au jour fixé pour l’ouverture des classes ; de là brouille entre le père et le fils. La mère, comme toutes les mamans, appuya le petit Fox. Le père promit alors solennellement à son fils qu’il attendrait aux vacances prochaines pour démolir le kiosque. Fox retourne au collége. Le père crut qu’un petit garçon distrait par ses études oublierait cette circonstance, il fit abattre le kiosque et le reconstruisit à l’autre endroit. L’entêté garçon ne songeait qu’à ce kiosque. Quand il vint chez son père, son premier soin fut d’aller voir le vieux bâtiment ; mais il revint tout triste au moment du déjeuner, et dit à son père : — Vous m’avez trompé. Le