Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, III.djvu/136

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la venue des voisins. Les chiens reconnurent la voix de leur maître et aboyèrent, les chevaux hennirent et piaffèrent. Ce fut un tumulte affreux au milieu de cette nuit calme. En descendant par les escaliers pour courir après sa fille, le général vit ses gens épouvantés qui arrivaient de toutes parts.

— Ma fille ? Hélène est enlevée. Allez dans le jardin ! Gardez la rue ! Ouvrez à la gendarmerie ! À l’assassin !

Aussitôt il brisa par un effort de rage la chaîne qui retenait le gros chien de garde.

— Hélène ! Hélène ! lui dit-il.

Le chien bondit comme un lion, aboya furieusement et s’élança dans le jardin si rapidement, que le général ne put le suivre. En ce moment le galop des chevaux retentit dans la rue, et le général s’empressa d’ouvrir lui-même.

— Brigadier, s’écria-t-il, allez couper la retraite à l’assassin de monsieur de Mauny. Ils s’en vont par mes jardins. Vite, cernez les chemins de la butte de Picardie, je vais faire une battue dans toutes les terres, les parcs, les maisons. — Vous autres, dit-il à ses gens, veillez sur la rue et tenez la ligne depuis la barrière jusqu’à Versailles. En avant, tous !

Il se saisit d’un fusil que lui apporta son valet de chambre, et s’élança dans les jardins en criant au chien : — Cherche ! D’affreux aboiements lui répondirent dans le lointain, et il se dirigea dans la direction d’où les râlements du chien semblaient venir.

À sept heures du matin, les recherches de la gendarmerie, du général, de ses gens et des voisins, avaient été inutiles. Le chien n’était pas revenu. Harassé de fatigue, et déjà vieilli par le chagrin, le marquis rentra dans son salon, désert pour lui, quoique ses trois autres enfants y fussent.

— Vous avez été bien froide pour votre fille, dit-il en regardant sa femme. — Voilà donc ce qui nous reste d’elle ! ajouta-t-il en montrant le métier où il voyait une fleur commencée. Elle était là, tout à l’heure, et maintenant, perdue, perdue !

Il pleura, se cacha la tête dans ses mains, et resta un moment silencieux, n’osant plus contempler ce salon, qui naguère lui offrait le tableau le plus suave du bonheur domestique. Les lueurs de l’aurore luttaient avec les lampes expirantes ; les bougies brûlaient leurs festons de papier, tout s’accordait avec le désespoir de ce père.

— Il faudra détruire ceci, dit-il après un moment de silence et