Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, III.djvu/155

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nous serons seules dans cet appartement, et n’aurons plus de bruit. Comment te trouves-tu ce matin ? Es-tu fatiguée ?

En disant ces dernières phrases, la marquise s’était levée pour venir près du lit de Moïna.

— Voyons, lui dit-elle en cherchant la main de sa fille.

— Oh ! laisse-moi, ma mère, répondit Moïna, tu as froid.

À ces mots la jeune fille se roula dans son oreiller par un mouvement de bouderie, mais si gracieux, qu’il était difficile à une mère de s’en offenser. En ce moment, une plainte, dont l’accent doux et prolongé devait déchirer le cœur d’une femme, retentit dans la chambre voisine.

— Mais si tu as entendu cela pendant toute la nuit, pourquoi ne m’as-tu pas éveillée ? nous aurions… Un gémissement plus profond que tous les autres interrompit la marquise, qui s’écria : — Il y a là quelqu’un qui se meurt ! Et elle sortit vivement.

— Envoie-moi Pauline ! cria Moïna, je vais m’habiller.

La marquise descendit promptement et trouva l’hôtesse dans la cour au milieu de quelques personnes qui paraissaient l’écouter attentivement.

— Madame, vous avez mis près de nous une personne qui paraît souffrir beaucoup…

— Ah ! ne m’en parlez pas ! s’écria la maîtresse de l’hôtel, je viens d’envoyer chercher le maire. Figurez-vous que c’est une femme, une pauvre malheureuse qui y est arrivée hier au soir, à pied ; elle vient d’Espagne, elle est sans passe-port et sans argent. Elle portait sur son dos un petit enfant qui se meurt. Je n’ai pas pu me dispenser de la recevoir ici. Ce matin, je suis allée moi-même la voir ; car hier, quand elle a débarqué ici, elle m’a fait une peine affreuse. Pauvre petite femme ! elle était couchée avec son enfant, et tous deux se débattaient contre la mort.

— Madame, m’a-t-elle dit en tirant un anneau d’or de son doigt, je ne possède plus que cela, prenez-le pour vous payer ; ce sera suffisant, je ne ferai pas long séjour ici. Pauvre petit ! nous allons mourir ensemble, qu’elle dit en regardant son enfant. Je lui ai pris son anneau, je lui ai demandé qui elle était ; mais elle n’a jamais voulu me dire son nom… Je viens d’envoyer chercher le médecin et monsieur le maire.

— Mais, s’écria la marquise, donnez-lui tous les secours qui