Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, III.djvu/211

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Vous pouvez, et nous le désirons tous, vivre encore quarante-cinq ans. Or, comme vous gardez pour vous l’usufruit de la fortune de monsieur Évangélista ; durant votre existence, vos enfants pendront-ils leurs dents au croc ?

— Qu’est-ce que signifie cette phrase ? dit la veuve. Que veulent dire ce croc et cet usufruit ?

Solonet, homme de goût et d’élégance, se mit à rire.

— Je vais la traduire, répondit le bonhomme. Si vos enfants veulent être sages, ils penseront à l’avenir. Penser à l’avenir, c’est économiser la moitié de ses revenus en supposant qu’il ne nous vienne que deux enfants, auxquels il faudra donner d’abord une belle éducation, puis une grosse dot. Votre fille et votre gendre seront donc réduits à vingt mille livres de rentes, quand l’un et l’autre en dépensaient cinquante sans être mariés. Ceci n’est rien. Mon client devra compter un jour à ses enfants onze cent mille francs du bien de leur mère, et ne les aura peut-être pas encore reçus si sa femme est morte et que madame vive encore, ce qui peut arriver. En conscience, signer un pareil contrat, n’est-ce pas se jeter pieds et poings liés dans la Gironde ? Vous voulez faire le bonheur de mademoiselle votre fille ? Si elle aime son mari, sentiment dont ne doutent jamais les notaires, elle épousera ses chagrins. Madame, j’en vois assez pour la faire mourir de douleur, car elle sera dans la misère. Oui, madame, la misère, pour des gens auxquels il faut cent mille livres de rentes, est de n’en avoir plus que vingt mille. Si, par amour, monsieur le comte faisait des folies, sa femme le ruinerait par ses reprises le jour où quelque malheur adviendrait. Je plaide ici pour vous, pour eux, pour leurs enfants, pour tout le monde.

— Le bonhomme a bien fait feu de tous ses canons, pensa maître Solonet en jetant un regard à sa cliente comme pour lui dire : — Allons !

— Il est un moyen d’accorder ces intérêts, répondit avec calme madame Évangélista. Je puis me réserver seulement une pension nécessaire pour entrer dans un couvent, et vous aurez mes biens dès à présent. Je puis renoncer au monde, si ma mort anticipée assure le bonheur de ma fille.

— Madame, dit le vieux notaire, prenons le temps de peser mûrement le parti qui conciliera toutes les difficultés.

— Hé ! mon Dieu, monsieur, dit madame Évangélista qui voyait sa perte dans un retard, tout est pesé. J’ignorais ce qu’était un ma-