Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, III.djvu/245

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œuf. Dans sa vie molle, elle ne songe à rien ; elle songe à tout quand elle est passionnée. Elle a quelque chose de la perfidie des nègres qui l’ont entourée dès le berceau, mais elle est aussi naïve qu’ils sont naïfs. Comme eux et comme les enfants, elle sait toujours vouloir la même chose avec une croissante intensité de désir et peut couver son idée pour la faire éclore. Étrange assemblage de qualités et de défauts, que le génie espagnol avait corroboré chez madame Évangélista, et sur lequel la politesse française avait jeté la glace de son vernis. Ce caractère endormi par le bonheur pendant seize ans, occupé depuis par les minuties du monde, et à qui la première de ses haines avait révélé sa force, se réveillait comme un incendie ; il éclatait à un moment de la vie où la femme perd ses plus chères affections et veut un nouvel élément pour nourrir l’activité qui la dévore. Natalie restait encore pendant trois jours sous l’influence de sa mère ! Madame Évangélista vaincue avait donc à elle une journée, la dernière de celles qu’une fille passe avec sa mère. Par un seul mot, la créole pouvait influencer la vie de ces deux êtres destinés à marcher ensemble à travers les halliers et les grandes routes de la société parisienne, car Natalie avait en sa mère une croyance aveugle. Quelle portée acquérait un conseil dans un esprit ainsi prévenu ! Tout un avenir pouvait être déterminé par une phrase. Aucun code, aucune institution humaine ne peut prévenir le crime moral qui tue par un mot. Là est le défaut des justices sociales ; là est la différence qui se trouve entre les mœurs du grand monde et les mœurs du peuple : l’un est franc, l’autre est hypocrite ; à l’un le couteau, à l’autre le venin du langage ou des idées ; à l’un la mort, à l’autre l’impunité.

Le lendemain, vers midi, madame Évangélista se trouvait à demi couchée sur le bord du lit de Natalie. Pendant l’heure du réveil, toutes deux luttaient de câlineries et de caresses en reprenant les heureux souvenirs de leur vie à deux, durant laquelle aucun discord n’avait troublé ni l’harmonie de leurs sentiments, ni la convenance de leurs idées, ni la mutualité de leurs plaisirs.

— Pauvre chère petite, disait la mère en pleurant de véritables larmes, il m’est impossible de ne pas être émue en pensant qu’après avoir toujours fait tes volontés, demain soir tu seras à un homme auquel il faudra obéir ?

— Oh, chère mère, quant à lui obéir ! dit Natalie en laissant échapper un geste de tête qui exprimait une gracieuse mutinerie.