Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, III.djvu/248

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voir, ce serait jeter de la déconsidération sur ton mari, je passerai toujours un mois ou deux chez vous à Paris.

— Seule, déjà seule et avec lui ! dit Natalie avec terreur en interrompant sa mère.

— Ne faut-il pas que tu sois sa femme ?

— Je le veux bien, mais au moins dis-moi comment je dois me conduire, toi qui faisais tout ce que tu voulais de mon père, tu t’y connais, je t’obéirai aveuglément.

Madame Évangélista baisa Natalie au front, elle voulait et attendait cette prière.

— Enfant, mes conseils doivent s’adapter aux circonstances. Les hommes ne se ressemblent pas entre eux. Le lion et la grenouille sont moins dissemblables que ne l’est un homme comparé à un autre, moralement parlant. Sais-je aujourd’hui ce qui t’adviendra demain ? Je ne puis maintenant te donner que des avis généraux sur l’ensemble de ta conduite.

— Chère mère, dis-moi donc bien vite tout ce que tu sais.

— D’abord, ma chère enfant, la cause de la perte des femmes mariées qui tiennent à conserver le cœur de leurs maris… et, dit-elle en faisant une parenthèse, conserver leur cœur ou les gouverner est une seule et même chose, eh ! bien, la cause principale des désunions conjugales se trouve dans une cohésion constante qui n’existait pas autrefois, et qui s’est introduite dans ce pays-ci avec la manie de la famille. Depuis la révolution qui s’est faite en France, les mœurs bourgeoises ont envahi les maisons aristocratiques. Ce malheur est dû à l’un de leurs écrivains, à Rousseau, hérétique infâme qui n’a eu que des pensées anti-sociales et qui, je ne sais comment, a justifié les choses les plus déraisonnables. Il a prétendu que toutes les femmes avaient les mêmes droits, les mêmes facultés ; que, dans l’état de société, on devait obéir à la nature ; comme si la femme d’un grand d’Espagne, comme si toi et moi nous avions quelque chose de commun avec une femme du peuple ? Et, depuis, les femmes comme il faut ont nourri leurs enfants, ont élevé leurs filles et sont restées à la maison. Ainsi la vie s’est compliquée de telle sorte que le bonheur est devenu presque impossible, car une convenance entre deux caractères semblable à celle qui nous a fait vivre comme deux amies est une exception. Le contact perpétuel n’est pas moins dangereux entre les enfants et les parents qu’il l’est entre les époux. Il est peu d’âmes chez lesquelles l’amour résiste à