Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, III.djvu/249

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l’omniprésence, ce miracle n’appartient qu’à Dieu. Mets donc entre Paul et toi les barrières du monde, va au bal, à l’Opéra ; promène-toi le matin, dîne en ville le soir, rends beaucoup de visites, accorde peu de moments à Paul. Par ce système tu ne perdras rien de ton prix. Quand, pour aller jusqu’au bout de l’existence, deux êtres n’ont que le sentiment, ils en ont bientôt épuisé les ressources ; et bientôt l’indifférence, la satiété, le dégoût arrivent. Une fois le sentiment flétri, que devenir ? Sache bien que l’affection éteinte ne se remplace que par l’indifférence ou par le mépris. Sois donc toujours jeune et toujours neuve pour lui. Qu’il t’ennuie, cela peut arriver, mais toi ne l’ennuie jamais. Savoir s’ennuyer à propos est une des conditions de toute espèce de pouvoir. Vous ne pourrez diversifier le bonheur ni par les soins de fortune, ni par les occupations du ménage ; si donc tu ne faisais partager à ton mari tes occupations mondaines, si tu ne l’amusais pas, vous arriveriez à la plus horrible atonie. Là commence le spleen de l’amour. Mais on aime toujours qui nous amuse ou qui nous rend heureux. Donner le bonheur ou le recevoir, sont deux systèmes de conduite féminine séparés par un abîme.

— Chère mère, je vous écoute, mais je ne comprends pas.

— Si tu aimes Paul au point de faire tout ce qu’il voudra, s’il te donne vraiment le bonheur, tout sera dit, tu ne seras pas la maîtresse, et les meilleurs préceptes du monde ne serviront à rien.

— Ceci est plus clair, mais j’apprends la règle sans pouvoir l’appliquer, dit Natalie en riant. J’ai la théorie, la pratique viendra.

— Ma pauvre Ninie, reprit la mère qui laissa tomber une larme sincère en pensant au mariage de sa fille et qui la pressa sur son cœur, il t’arrivera des choses qui te donneront de la mémoire. Enfin, reprit-elle après une pause pendant laquelle la mère et la fille restèrent unies dans un embrassement plein de sympathie, sache-le bien, ma Natalie, nous avons toutes une destinée en tant que femmes comme les hommes ont leur vocation. Ainsi, une femme est née pour être une femme à la mode, une charmante maîtresse de maison, comme un homme est né général ou poète. Ta vocation est de plaire. Ton éducation t’a d’ailleurs formée pour le monde. Aujourd’hui les femmes doivent être élevées pour le salon comme autrefois elles l’étaient pour le gynécée. Tu n’es faite ni pour être mère de famille, ni pour devenir un intendant. Si tu as des enfants, j’espère qu’ils n’arriveront pas de manière à te gâter