Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, III.djvu/270

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ce pas ruiner ton crédit ? Il a fallu que tu te sois fâché pour que j’aie cédé. Mon cher Paul, jamais tu n’as été si grand à mes yeux que tu l’es en ce moment. Ne désespérer de rien, aller chercher une fortune ?… il faut ton caractère et ta force pour se conduire ainsi. Je suis à tes pieds. Un homme qui avoue sa faiblesse avec ta bonne foi, qui refait sa fortune par la même cause qui la lui a fait dissiper, par amour, par une irrésistible passion, oh ! Paul, cet homme est sublime. Va sans crainte, marche à travers les obstacles, sans douter de ta Natalie, car ce serait douter de toi-même. Pauvre cher, tu veux vivre en moi ? Et moi, ne serai-je pas toujours en toi ? Je ne serai pas ici, mais partout où tu seras, toi. Si ta lettre m’a causé de vives douleurs, elle m’a comblée de joie ; tu m’as fait en un moment connaître les deux extrêmes, car, en voyant combien tu m’aimes, j’ai été fière d’apprendre que mon amour était bien senti. Parfois, je croyais t’aimer plus que tu ne m’aimais, maintenant je me reconnais vaincue, tu peux joindre cette supériorité délicieuse à toutes celles que tu as ; mais n’ai-je pas plus de raisons de t’aimer, moi ! Ta lettre, cette précieuse lettre où ton âme se révèle et qui m’a si bien dit que rien n’était perdu entre nous, restera sur mon cœur pendant ton absence, car toute ton âme gît là, cette lettre est ma gloire ! J’irai demeurer à Lanstrac avec ma mère, j’y serai comme morte au monde, j’économiserai nos revenus pour payer tes dettes intégralement. De ce matin, Paul, je suis une autre femme, je dis adieu sans retour au monde, je ne veux pas d’un plaisir que tu ne partagerais pas. D’ailleurs, Paul, je dois quitter Paris et aller dans la solitude. Cher enfant, apprends que tu as une double raison de faire fortune. Si ton courage avait besoin d’aiguillon, ce serait un autre cœur que tu trouverais maintenant en toi-même. Mon bon ami, ne devines-tu pas ? nous aurons un enfant. Vos plus chers désirs sont comblés, monsieur. Je ne voulais pas te causer de ces fausses joies qui tuent, nous avons eu déjà trop de chagrin à ce sujet, je ne voulais pas être forcée de démentir la bonne nouvelle. Aujourd’hui je suis certaine de ce que je t’annonce, heureuse ainsi de jeter une joie à travers tes douleurs. Ce matin, ne me doutant de rien, te croyant sorti dans Paris, j’étais allée à l’Assomption y remercier Dieu. Pouvais-je prévoir un malheur ? tout me souriait pendant cette matinée. En sortant de l’église, j’ai rencontré ma mère ; elle avait appris ta détresse, et arrivait en poste avec ses économies, avec trente mille francs, espérant pouvoir arranger tes