Aller au contenu

Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, III.djvu/280

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

pour ignorer les choses les plus vulgaires, les premiers principes qui meuvent le mécanisme féminin, l’alphabet de leur cœur ? Exterminez-vous ; allez pour une femme à Sainte-Pélagie, tuez vingt-deux hommes, abandonnez sept filles, servez Laban, traversez le désert, côtoyez le bagne, couvrez-vous de gloire, couvrez-vous de honte, refusez comme Nelson de livrer bataille pour aller baiser l’épaule de lady Hamilton, comme Bonaparte battez le vieux Wurmser, fendez-vous sur le pont d’Arcole, délirez comme Roland, cassez-vous une jambe éclissée pour valser six minutes avec une femme !… Mon cher, qu’est-ce que ces choses ont à faire avec l’amour ? Si l’amour se déterminait sur de tels échantillons, l’homme serait trop heureux : quelques prouesses faites dans le moment du désir lui donneraient la femme aimée. L’amour, mon gros Paul, mais c’est une croyance comme celle de l’immaculée conception de la Sainte Vierge : cela vient ou cela ne vient pas. À quoi servent des flots de sang versés, les mines du Potose, ou la gloire pour faire naître un sentiment involontaire, inexplicable ? Les jeunes gens comme toi, qui veulent être aimés par balance de compte, me semblent être d’ignobles usuriers. Nos femmes légitimes nous doivent des enfants et de la vertu, mais elles ne nous doivent pas l’amour. L’amour, Paul ! est la conscience du plaisir donné et reçu, la certitude de le donner et de le recevoir ; l’amour est un désir incessamment mouvant, incessamment satisfait et insatiable. Le jour où Vandenesse a remué dans le cœur de ta femme la corde du désir que tu y laissais vierge, tes fanfaronnades amoureuses, tes torrents de cervelle et d’argent n’ont pas même été des souvenirs. Tes nuits conjugales semées de roses, fumée ! ton dévouement, un remords à offrir ! ta personne, une victime à égorger sur l’autel ! ta vie antérieure, ténèbres ! une émotion d’amour effarait tes trésors de passion qui n’étaient plus que de la vieille ferraille. Il a eu, lui Félix, toutes les beautés, tous les dévouements, gratis peut-être, mais en amour la croyance équivaut à la réalité. Ta belle mère a donc été naturellement du parti de l’amant contre le mari ; secrètement ou patemment, elle a fermé les yeux, ou elle les a ouverts, je ne sais ce qu’elle a fait, mais elle a été pour sa fille, contre toi. Depuis quinze ans que j’observe la société, je ne connais pas une mère qui, dans cette circonstance, ait abandonné sa fille. Cette indulgence est un héritage transmis de femme en femme. Quel homme peut la leur reprocher ? quelque rédacteur du Code civil, qui a vu des formules