Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, III.djvu/321

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sur sa maladie, un peu coûteuse d’ailleurs, car elle consistait à faire quatre repas d’une ampleur monastique. Sa charpente, comme celle du baron, était osseuse et d’une force indestructible, couverte d’un parchemin collé sur ses os comme la peau d’un cheval arabe sur les nerfs qui semblent reluire au soleil. Son teint avait gardé une couleur de bistre, due à ses voyages aux Indes, desquels il n’avait rapporté ni une idée ni une histoire. Il avait émigré, il avait perdu sa fortune, puis retrouvé la croix de Saint-Louis et une pension de deux mille francs légitimement due à ses services, et payée par la caisse des Invalides de la marine. La légère hypocondrie qui lui faisait inventer mille maux imaginaires s’expliquait facilement par ses souffrances pendant l’émigration. Il avait servi dans la marine russe jusqu’au jour où l’empereur Alexandre voulut l’employer contre la France ; il donna sa démission et alla vivre à Odessa, près du duc de Richelieu avec lequel il revint, et qui fit liquider la pension due à ce débris glorieux de l’ancienne marine bretonne. À la mort de Louis XVIII, époque à laquelle il revint à Guérande, le chevalier du Halga devint maire de la ville. Le curé, le chevalier, mademoiselle de Pen-Hoël, avaient depuis quinze ans l’habitude de passer leurs soirées à l’hôtel du Guénic, où venaient également quelques personnages nobles de la ville et de la contrée. Chacun devine aisément dans les du Guénic les chefs du petit faubourg Saint-Germain de l’arrondissement, où ne pénétrait aucun des membres de l’administration envoyée par le nouveau gouvernement. Depuis six ans le curé toussait à l’endroit critique du Domine, salvum fac regem. La politique en était toujours là dans Guérande.

La mouche est un jeu qui se joue avec cinq cartes et avec une retourne. La retourne détermine l’atout. À chaque coup, le joueur est libre d’en courir les chances ou de s’abstenir. En s’abstenant, il ne perd que son enjeu, car, tant qu’il n’y a pas de remises au panier, chaque joueur mise une faible somme. En jouant, le joueur est tenu de faire une levée qui se paye au prorata de la mise. S’il y a cinq sous au panier, la levée vaut un sou. Le joueur qui ne fait pas de levée est mis à la mouche : il doit alors tout l’enjeu, qui grossit le panier au coup suivant. On inscrit les mouches dues ; elles se mettent l’une après l’autre au panier par ordre de capital, le plus gros passant avant le plus faible. Ceux qui renoncent à jouer donnent leurs cartes pendant le coup, mais ils sont considérés