Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, III.djvu/337

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d’une pareille dépravation. Elle m’a fait enfin mille plaisanteries qui m’ont accablé, car elle a de l’esprit comme un ange. Aussi, quand elle m’a vu pleurant à chaudes larmes, m’a-t-elle consolé en m’offrant son amitié de la manière la plus noble. Elle a plus de cœur encore que de talent ; elle est généreuse autant que vous. Je suis maintenant comme son enfant. Puis, à son retour, en apprenant qu’elle en aimait un autre, je me suis résigné. Ne répétez pas les calomnies qui courent sur elle : Camille est artiste, elle a du génie, et mène une de ces existences exceptionnelles que l’on ne saurait juger comme les existences ordinaires.

— Mon enfant, dit la religieuse Fanny, rien ne peut dispenser une femme de se conduire comme le veut l’Église. Elle manque à ses devoirs envers Dieu, envers la société en abjurant les douces religions de son sexe. Une femme commet déjà des péchés en allant au théâtre ; mais écrire les impiétés que répètent les acteurs, courir le monde, tantôt avec un ennemi du pape, tantôt avec un musicien, ah ! vous aurez de la peine, Calyste, à me persuader que ces actions soient des actes de foi, d’espérance ou de charité. Sa fortune lui a été donnée par Dieu pour faire le bien, à quoi lui sert la sienne ?

Calyste se releva soudain, il regarda sa mère et lui dit : — Ma mère, Camille est mon amie ; je ne saurais entendre parler d’elle ainsi, car je donnerais ma vie pour elle.

— Ta vie ? dit la baronne en regardant son fils d’un air effrayé, ta vie est notre vie à tous.

— Mon beau neveu a dit là bien des mots que je ne comprends pas, s’écria doucement la vieille aveugle en se tournant vers lui.

— Où les a-t-il appris ? dit la mère, aux Touches.

— Mais, ma mère chérie, elle m’a trouvé ignorant comme une carpe.

— Tu savais les choses essentielles en connaissant bien les devoirs que nous enseigne la religion, répondit la baronne. Ah ! cette femme détruira tes nobles et saintes croyances.

La vieille fille se leva, étendit solennellement les mains vers son frère, qui sommeillait.

— Calyste, dit-elle d’une voix qui partait du cœur, ton père n’a jamais ouvert de livres, il parle breton, il a combattu dans le danger pour le roi et pour Dieu. Les gens instruits avaient fait le