Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, III.djvu/343

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des baux ; et d’un capital de trois cent mille francs économisé par son tuteur. De la vie de province, Félicité ne prit que l’entente de la fortune et cette pente à la sagesse administrative qui peut-être y rétablit la balance entre le mouvement ascensionnel des capitaux vers Paris. Elle reprit ses trois cent mille francs à la maison où l’archéologue les faisait valoir, et les plaça sur le Grand-Livre au moment des désastres de la retraite de Moscou. Elle eut trente mille francs de rentes de plus. Toutes ses dépenses acquittées, il lui restait cinquante mille francs par an à placer. À vingt et un ans, une fille de ce vouloir était l’égale d’un homme de trente ans. Son esprit avait pris une énorme étendue, et des habitudes de critique lui permettaient de juger sainement les hommes, les arts, les choses et la politique. Dès ce moment elle eut l’intention de quitter Nantes, mais le vieux Faucombe tomba malade de la maladie qui l’emporta. Elle était comme la femme de ce vieillard, elle le soigna pendant dix-huit mois avec le dévouement d’un ange gardien, et lui ferma les yeux au moment où Napoléon luttait avec l’Europe sur le cadavre de la France. Elle remit donc son départ pour Paris à la fin de cette lutte. Royaliste, elle courut assister au retour des Bourbons à Paris. Elle y fut accueillie par les Grandlieu, avec lesquels elle avait des liens de parenté ; mais les catastrophes du Vingt-Mars arrivèrent, et tout pour elle fut en suspens. Elle put voir de près cette dernière image de l’Empire, admirer la Grande-Armée qui vint au Champ de Mars, comme à un cirque, saluer son César avant d’aller mourir à Waterloo. L’âme grande et noble de Félicité fut saisie par ce magique spectacle. Les commotions politiques, la féerie de cette pièce de théâtre en trois mois que l’histoire a nommée les Cent-Jours, l’occupèrent et la préservèrent de toute passion, au milieu d’un bouleversement qui dispersa la société royaliste où elle avait débuté. Les Grandlieu avaient suivi les Bourbons à Gand, laissant leur hôtel à mademoiselle des Touches. Félicité, qui ne voulait pas de position subalterne, acheta, pour cent trente mille francs, un des plus beaux hôtels de la rue du Mont-Blanc où elle s’installa quand les Bourbons revinrent en 1815, et dont le jardin seul vaut aujourd’hui deux millions. Habituée à se conduire elle-même, Félicité se familiarisa de bonne heure avec l’action qui semble exclusivement départie aux hommes. En 1816, elle eut vingt-cinq ans. Elle ignorait le mariage, elle ne le concevait que par la pensée, le jugeait dans ses causes au lieu de