Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, III.djvu/353

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venus malgré vent et marée, pour eux le mot est juste, préparent l’âme au spectacle triste et bizarre des marais salants et des dunes qui ressemblent à une mer figée. La maison, assez bien bâtie en pierres schisteuses et en mortier maintenus par des chaînes en granit, est sans aucune architecture, elle offre à l’œil une muraille sèche, régulièrement percée par les baies des fenêtres. Les fenêtres sont à grandes vitres au premier étage, et au rez-de-chaussée en petits carreaux. Au-dessus du premier sont des greniers qui s’étendent sous un énorme toit élevé, pointu, à deux pignons, et qui a deux grandes lucarnes sur chaque face. Sous le triangle de chaque pignon, une croisée ouvre son œil de cyclope à l’ouest sur la mer, à l’est sur Guérande. Une façade de la maison regarde le chemin de Guérande et l’autre le désert au bout duquel s’élève le Croisic. Par delà cette petite ville, s’étend la pleine mer. Un ruisseau s’échappe par une ouverture de la muraille du parc, que longe le chemin du Croisic, le traverse et va se perdre dans les sables ou dans le petit lac d’eau salée cerclé par les dunes, par les marais, et produit par l’irruption du bras de mer. Une route de quelques toises, pratiquée dans cette brèche du terrain, conduit du chemin à cette maison. On y entre par une grande porte. La cour est entourée de bâtiments ruraux assez modestes qui sont une écurie, une remise, une maison de jardinier près de laquelle est une basse-cour avec ses dépendances, plus à l’usage du concierge que du maître. Les tons grisâtres de cette maison s’harmonient admirablement avec le paysage qu’elle domine. Son parc est l’oasis de ce désert à l’entrée duquel le voyageur trouve une hutte en boue où veillent les douaniers. Cette maison sans terres, ou dont les terres sont situées sur le territoire de Guérande, a dans les marais un revenu de dix mille livres de rentes et le reste en métairies disséminées en terre ferme. Tel est le fief des Touches, auquel la révolution a retiré ses revenus féodaux. Aujourd’hui les Touches sont un bien ; mais les paludiers continuent à dire le château ; ils diraient le seigneur si le fief n’était tombé en quenouille. Quand Félicité voulut restaurer les Touches, elle se garda bien, en grande artiste, de rien changer à cet extérieur désolé qui donne un air de prison à ce bâtiment solitaire. Seulement la porte d’entrée fut enjolivée de deux colonnes en briques soutenant une galerie dessous laquelle peut passer une voiture. La cour fut plantée.

La distribution du rez-de-chaussée est celle de la plupart des