Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, III.djvu/374

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— Mon cher Calyste… dit Camille en voulant parler.

— Cher ? dit Vignon qui l’interrompit.

— Claude plaisante, dit Camille en continuant de parler à Calyste, il a tort avec vous qui ne connaissez rien aux mystifications parisiennes.

— Je ne savais pas être plaisant, répliqua Vignon d’un air grave.

— Par quel chemin êtes-vous venu ? voilà deux heures que je ne cesse de regarder dans la direction du Croisic.

— Vous ne regardiez pas toujours, répondit Vignon.

— Vous êtes insupportable dans vos railleries.

— Je raille ?

Calyste se leva.

— Vous n’êtes pas assez mal ici pour vous en aller, lui dit Vignon.

— Au contraire, dit le bouillant jeune homme à qui Camille Maupin tendit sa main qu’il baisa, au lieu de la serrer, en y laissant une larme brûlante.

— Je voudrais être ce petit jeune homme, dit le critique en s’asseyant et prenant le bout du houka. Comme il aimera !

— Trop, car alors il ne sera pas aimé, dit mademoiselle des Touches. Madame de Rochegude arrive ici.

— Bon ! fit Claude. Avec Conti ?

— Elle y restera seule, mais il l’accompagne.

— Il y a de la brouille ?

— Non.

— Jouez-moi une sonate de Beethoven, je ne connais rien de la musique qu’il a écrite pour le piano.

Claude se mit à charger de tabac turc la cheminée du houka, en examinant Camille beaucoup plus qu’elle ne le croyait. Une pensée horrible l’occupait, il se croyait pris pour dupe par une femme de bonne foi. Cette situation était neuve.

Calyste en s’en allant ne pensait plus à Béatrix de Rochegude ni à sa lettre, il était furieux contre Claude Vignon, il se courrouçait de ce qu’il prenait pour de l’indélicatesse, il plaignait la pauvre Félicité. Comment être aimé de cette sublime femme et ne pas l’adorer à genoux, ne pas la croire sur la foi d’un regard ou d’un sourire ? Après avoir été le témoin privilégié des douleurs que causait l’attente à Félicité, l’avoir vue tournant la tête vers le Croisic, il s’était senti l’envie de déchirer ce spectre pâle et froid ; ignorant, comme le lui avait dit Félicité, les mystifications de pensée aux-