Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, III.djvu/376

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le mariage ; mais il est si doux de lui obéir ! Après avoir fait de l’amour toute ma vie, je ne savais pas qu’il faudrait revoir le monde, même par échappées, et les soins dont on m’y a entourée étaient autant de blessures. Je n’y étais plus sur un pied d’égalité avec les femmes les plus élevées. Plus on me marquait d’égards, plus on étendait mon infériorité. Gennaro n’a pas compris ces finesses ; mais il était si heureux que j’aurais eu mauvaise grâce à ne pas immoler de petites vanités à une aussi grande chose que la vie d’un artiste. Nous ne vivons que par l’amour ; tandis que les hommes vivent par l’amour et par l’action, autrement ils ne seraient pas hommes. Cependant il existe pour nous autres femmes de grands désavantages dans la position où je me suis mise, et vous les aviez évités : vous étiez restée grande en face du monde, qui n’avait aucun droit sur vous ; vous aviez votre libre arbitre, et je n’ai plus le mien. Je ne parle de ceci que relativement aux choses du cœur, et non aux choses sociales desquelles j’ai fait un entier sacrifice. Vous pouviez être coquette et volontaire, avoir toutes les grâces de la femme qui aime et peut tout accorder ou tout refuser à son gré ; vous aviez conservé le privilége des caprices, même dans l’intérêt de votre amour et de l’homme qui vous plaisait. Enfin, aujourd’hui, vous avez encore votre propre aveu ; moi, je n’ai plus la liberté du cœur, que je trouve toujours délicieuse à exercer en amour, même quand la passion est éternelle. Je n’ai pas ce droit de quereller en riant, auquel nous tenons tant et avec tant de raison : n’est-ce pas la sonde avec laquelle nous interrogeons le cœur ? Je n’ai pas une menace à faire, je dois tirer tous mes attraits d’une obéissance et d’une douceur illimitées, je dois imposer par la grandeur de mon amour ; j’aimerais mieux mourir que de quitter Gennaro, car mon pardon est dans la sainteté de ma passion. Entre la dignité sociale et ma petite dignité, qui est un secret pour ma conscience, je n’ai pas hésité. Si j’ai quelques mélancolies semblables à ces nuages qui passent sur les cieux les plus purs et auxquelles nous autres femmes nous aimons à nous livrer, je les tais, elles ressembleraient à des regrets. Mon Dieu, j’ai si bien aperçu l’étendue de mes obligations, que je me suis armée d’une indulgence entière ; mais jusqu’à présent Gennaro n’a pas effarouché ma si susceptible jalousie. Enfin, je n’aperçois point par où ce cher beau génie pourrait faillir. Je ressemble un peu, chère ange, à ces dévots qui discutent avec leur Dieu, car n’est-ce pas à vous que je dois mon bonheur ? Aussi