Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, III.djvu/380

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et que je serais consumé sans avoir adoré la divinité que je vois partout, dans les feuillages verts, comme dans les sables allumés par le soleil, et dans toutes les femmes belles, nobles, élégantes, dépeintes par les livres, par les poèmes dévorés chez Camille ? Hélas ! de ces femmes, il n’en est qu’une à Guérande, et c’est vous, ma mère ! Ces beaux oiseaux bleus de mes rêves, ils viennent de Paris, ils sortent d’entre les pages de lord Byron, de Scott : c’est Parisina, Effie, Minna ! Enfin c’est la royale duchesse que j’ai vue dans les landes, à travers les bruyères et les genêts, et dont l’aspect me mettait tout le sang au cœur !

La baronne vit toutes ces pensées plus claires, plus belles, plus vives que l’art ne les fait à celui qui les lit ; elle les embrassa rapides, toutes jetées par ce regard comme les flèches d’un carquois qui se renverse. Sans avoir jamais lu Beaumarchais, elle pensa, avec toutes les femmes, que ce serait un crime que de marier ce Chérubin.

— Oh ! mon cher enfant, dit-elle en le prenant dans ses bras, le serrant et baisant ses beaux cheveux qui étaient encore à elle, marie-toi quand tu voudras, mais sois heureux ! Mon rôle n’est pas de te tourmenter.

Mariotte vint mettre le couvert. Gasselin était sorti pour promener le cheval de Calyste, qui depuis deux mois ne le montait plus. Ces trois femmes, la mère, la tante et Mariotte s’entendaient avec la ruse naturelle aux femmes pour fêter Calyste quand il dînait au logis. La pauvreté bretonne, armée des souvenirs et des habitudes de l’enfance, essayait de lutter avec la civilisation parisienne si fidèlement représentée à deux pas de Guérande, aux Touches. Mariotte essayait de dégoûter son jeune maître des préparations savantes de la cuisine de Camille Maupin, comme sa mère et sa tante rivalisaient de soins pour enserrer leur enfant dans les rets de leur tendresse, et rendre toute comparaison impossible.

— Ah ! vous avez une lubine (le bar), monsieur Calyste, et des bécassines, et des crêpes qui ne peuvent se faire qu’ici, dit Mariotte d’un air sournois et triomphant en se mirant dans la nappe blanche, une vraie tombée de neige.

Après le dîner, quand sa vieille tante se fut remise à tricoter, quand le curé de Guérande et le chevalier du Halga revinrent, alléchés par leur partie de mouche, Calyste sortit pour retourner aux Touches, prétextant la lettre de Béatrix à rendre.

Claude Vignon et mademoiselle des Touches étaient encore à ta-