Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, III.djvu/394

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— Elle a été dure pour moi, elle ne m’aimera point, dit Calyste, et si elle ne m’aime pas, j’en mourrai.

— Mourir ?… vous ! mon cher Calyste, dit Camille, vous êtes un enfant. Vous ne seriez donc pas mort pour moi ?

— Vous vous êtes faite mon amie, répondit-il.

Après les causeries qu’engendre toujours le café, Vignon pria Conti de chanter un morceau. Mademoiselle des Touches se mit au piano. Camille et Gennaro chantèrent le Dunque il mio bene tu mia sarai, le dernier duo de Roméo et Jutiette de Zingarelli, l’une des pages les plus pathétiques de la musique moderne. Le passage Di tanti palpiti exprime l’amour dans toute sa grandeur. Calyste, assis dans le fauteuil où Félicité lui avait raconté l’histoire de la marquise, écoutait religieusement. Béatrix et Vignon étaient chacun d’un côté du piano. La voix sublime de Conti savait se marier à celle de Félicité. Tous deux avaient souvent chanté ce morceau, ils en connaissaient les ressources et s’entendaient à merveille pour les faire valoir. Ce fut en ce moment, ce que le musicien a voulu créer, un poème de mélancolie divine, les adieux de deux cygnes à la vie. Quand le duo fut terminé, chacun était en proie à des sensations qui ne s’expriment point par de vulgaires applaudissements.

— Ah ! la musique est le premier des arts ! s’écria la marquise.

— Camille place en avant la jeunesse et la beauté, la première de toutes les poésies, dit Claude Vignon.

Mademoiselle des Touches regarda Claude en dissimulant une vague inquiétude. Béatrix, ne voyant point Calyste, tourna la tête comme pour savoir quel effet cette musique lui faisait éprouver, moins par intérêt pour lui que pour la satisfaction de Conti : elle aperçut dans l’embrasure un visage blanc couvert de grosses larmes. À cet aspect, comme si quelque vive douleur l’eût atteinte, elle détourna promptement la tête et regarda Gennaro. Non-seulement la musique s’était dressée devant Calyste, l’avait touché de sa baguette divine, l’avait lancé dans la création et lui en avait dépouillé les voiles, mais encore il était abasourdi du génie de Conti. Malgré ce que Camille Maupin lui avait dit de son caractère, il lui croyait alors une belle âme, un cœur plein d’amour. Comment lutter avec un pareil artiste ? comment une femme ne l’adorerait-elle pas toujours ? Ce chant entrait dans l’âme comme une autre âme. Le pauvre enfant était autant accablé par la poésie que par le désespoir : il se